Vols low cost...
Et si on se calmait!

Textes: Christian Bernet ; Luca Di Stefano ; Richard Etienne ; Antoine Grosjean
Photos: Magali Girardin
Réalisation web: Olivier Bot
Correction: Alejandro Sierra

Premier volet de notre série




Le Suisse prend l’avion deux fois plus souvent que ses voisins. Le Genevois sans doute encore plus, en raison de la proximité d’un aéroport très orienté sur le low cost. Cette frénésie de déplacements a un coût. Elle pollue beaucoup. Et nous n’en sommes qu’au début, à voir les perspectives de croissance du trafic aérien dans le monde. II est donc temps de s’arrêter un peu pour réfléchir à nos comportements. C’est ce que se propose de faire la «Tribune de Genève», dans une série d’articles à paraître chaque samedi.


En douze ans, il n’a pris l’avion qu’une seule fois. Ses vacances, il les passe ici, dans sa ville. Et s’il envisage des voyages, ils sont au long cours. Plutôt à pied ou en bus. Benoît Genecand, conseiller national PLR, passe pour l’ennemi des écolos. Pourtant, il fait partie de ces personnes, de plus en plus nombreuses, qui rejettent cette frénésie du voyage, cette fièvre du vol low cost qui fait s’envoler les gens pour un week-end dans les capitales. Parce que l’avion pollue, et parce qu’il n’offre que «des illusions de dépaysement». Cet été, il a traversé les Alpes à pied, de Genève à Nice. Mais pour le retour, il a pris l’avion, seule entorse à ses convictions. Entretien dans son stamm, un café de Plainpalais où il a ses habitudes de lecteur de journaux.


Pourquoi avoir décidé de ne plus prendre l’avion?
Je ne l’ai pas vraiment décidé. C’est venu sans que je m’en rende compte. Mon dernier vol, c’était pour mon travail, en 2006. Plus tard, je me suis demandé si ça me manquait de partir loin. J’ai attendu l’occasion qui justifierait que je reprenne l’avion. J’aurais pu aller aux Bahamas voir de la famille, mais cela ne m’a pas tenté. Plus les années passaient, et moins j’avais envie de ce type de voyage.

Pourtant, vous marchez jusqu’à Nice et vous revenez en avion...
Mon fils part deux ans à New York avec sa femme et mes petits-enfants. Deux ans, c’est long. J’irai donc les voir, en avion. Je ne voulais pas que mon fils pense que je fais une entorse à mes convictions à cause de lui. Alors j’ai pris l’avion à Nice. Je ne suis pas un fondamentaliste.

Vous dîtes qu’on vous prend pour une personne bizarre...
Dire qu’on ne prend pas l’avion est aussi surprenant que de dire qu’on est devenu bouddhiste. Les gens ont besoin d’une explication: soit vous avez peur, soit vous êtes un pantouflard. Car pour beaucoup, les vacances sont synonymes d’éloignement et donc de vol en avion. On nous a enfermés dans cette équation consumériste et fumeuse.

Consumériste?
Ces voyages rapides et bon marché sont archi-balisés. Les villes se ressemblent, la nourriture est mondialisée, on y fait du shopping. Ce désir d’ailleurs a été construit, il ne fait pas partie de notre cerveau reptilien. Pendant des siècles, l’homme n’a pas voyagé. Mais un marketing puissant nous fait croire qu’on n’a pas vécu si on n’a pas visité toutes les capitales européennes.

Et fumeuse aussi?
Est-ce que cela a du sens de partir dix jours à l’autre bout du monde? Est-ce qu’on s’y repose vraiment? Est-ce qu’on est plus ouvert au monde si on a foulé cinquante pays, ne serait-ce qu’une semaine? Je ne crois pas. Mais si vous revenez de vacances sans récit, sans être bronzé, vous êtes un plouc. Et comme les vols sont devenus très bon marché et que les gens peuvent se le payer, c’est difficile de changer. C’est devenu une drogue. Même si les choses commencent à changer.

Vous n’avez donc pas visité les capitales européennes?
Non, je suis un vieux con. Je n’ai été ni à Berlin, ni à Copenhague, ni à Porto. Je suis une mauvaise herbe super locale et je marche. La marche offre une expérience incomparable sur la distance et le temps. C’est mille fois plus dépaysement qu’un week-end à Barcelone.

Où partez-vous en vacances?
J’ai la chance d’être indépendant et de gagner assez bien ma vie. Je fais des balades au bord du Rhône, ça me repose, je consulte les journaux au café, et je lis cinquante livres par an. Mes vacances, je les ai en quelque sorte intégrées dans mon quotidien.

Pas de regret?
Non. Je sais que je ne verrai jamais la Chine, ni le Machu Picchu. Et alors? En revanche, j’irai peut-être au Japon. Et j’aimerais bien prendre plusieurs mois et faire le tour de la Méditerranée, avec les bus, en partant de la gare Dorsières, direction les Balkans. Sans savoir où dormir le soir.

Votre renoncement à l’avion, c’est donc davantage une question de philosophie que d’écologie?
Les deux aspects sont liés. On ne peut pas être écologiste sans se poser la question de son comportement. Sinon, votre pensée est hors sol. C’est parfois ce que je reproche aux écolos qui veulent interdire les 4X4 sans regarder leur propre bilan carbone. Il faut joindre la parole aux actes. Il est clair que si je renonce à l’avion, c’est à cause de la pollution qu’il génère. Enfin, ce n’est pas un mode de transport agréable. Un aéroport, c’est aseptisé comme un hôpital, on y vend du parfum pas cher et on se fait parfois traiter comme du bétail. Ce n’est pas un bon trip.

Vous réduisez aussi votre consommation en général?
J’essaie, mais je ne suis pas un exemple de frugalité. La décroissance pourrait me convenir, mais avant d’être membre du club, il y a du boulot.

Pourtant, on ne vous considère pas comme un écolo.
Je passe même pour leur ennemi à Berne. Je me suis opposé à la loi sur la stratégie énergétique parce qu’elle faisait la part belle à certains arrangements de groupes d’intérêts. Sinon, je suis intransigeant sur l’utilisation du sol ou sur la protection du loup. Et mes préoccupations environnementales me placent même tout à gauche des élus PLR.



«Prendre l’avion pour trois jours à Barcelone, vous trouvez ça enrichissant?»

«L'Aéroport dit oui à tout»

L’Université de Bâle interdit l’avion pour les voyages de moins de 1000 km. Une idée à suivre?
Oui. Les entreprises n’utilisent pas toutes les possibilités qu’offre la technologie. La vidéo conférence, le travail à domicile permettent de réduire notre empreinte carbone. Mais dans une société capitaliste, les choses ne changeront que quand les transports intégreront les coûts environnementaux.

Genève Aéroport est nécessaire à notre économie. Réduire les vols, n’est-ce pas l’affaiblir?
Moins de vols, ce serait déjà une bonne nouvelle pour les riverains. Et je ne crois pas que les multinationales partiraient. Aujourd’hui, Genève Aéroport ne fait aucun choix, il dit oui à tout et dans quinze ans, il ne pourra plus grandir. Paris est sa deuxième destination alors que la capitale est à trois heures de TGV. C’est absurde. Une baisse des vols aura peut-être des conséquences, mais la question de fond est de savoir s’il y a une alternative au capitalisme qui a sans cesse besoin de croissance.

Et que répondez-vous?
On a inventé la notion de développement durable. C’est un oxymore bien pratique pour le capitalisme. Cela lui permet de continuer sur sa lancée, sans prendre en compte la finitude. On s’est tellement goinfré d’énergies et de ressources ces dernières décennies qu’on peut bien faire un petit effort. Mais ce ne sera pas suffisant.

La technologie fait-elle partie de la solution?
Elle ne permettra pas de relever le défi, notamment parce que les pays en développement veulent consommer comme nous. Voyez la Tesla. On reste dans la même logique absurde en créant un véhicule de 2000 kg pour déplacer une personne de 70 kg. On ne résout rien.

Mais alors, que faites-vous sur les bancs PLR au National?
Les traces sont profondes et si on s’en écarte trop, on sort du système. J’essaie au moins d’éviter une détérioration. Par exemple sur l’utilisation du sol, ou sur la question de la migration, sur laquelle s’est toujours basée l’économie suisse pour son développement, ce qui est discutable. Pour le reste, il faut rester modeste sur ce que peut faire la Suisse. Chaque année, l’humanité augmente de 1,6% sa production de CO2, soit une hausse annuelle de 460 millions de tonnes. C’est dix fois plus que ce qu’émet la Suisse chaque année.

Les Verts ont lancé une initiative pour un contrôle démocratique de l’aéroport. Qu’en pensez-vous?
Je me réjouis de ce débat. Ce sera un sujet compliqué pour ceux qui voudront défendre la politique actuelle.

Chaque année, l’humanité augmente
de 1,6% sa production de CO2

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