Les années gris foncé: 1990-2009

Avec la démission de sa première conseillère fédérale, l’image de la Suisse est écornée. La multiplication des cas de blanchiment est telle qu’un arsenal juridique se met peu à peu en place. Et c’est un jour de fête nationale, le 1er août 1990, qu’un premier article pénal réprimant le blanchiment est fixé dans les codes. Et quatre ans après jour pour jour, le dispositif est complété: c’est le fait de participer à une organisation criminelle qui peut être désormais passible de prison. Jusqu’à cinq ans à l’ombre, sauf si un des criminels sème la zizanie dans la bande en contribuant à freiner les agissements de celle-ci. Dans ce cas, sa peine peut être atténuée. Le principe de base reste le même: le secret bancaire est levé en cas d’enquête pénale.

D’autres cas éclatent encore, mais rares sont les affaires directement liées au blanchiment de l’argent de la drogue. Au début des années 1990, la Colombie se distingue encore comme l’un des principaux États où sévissent la production et le trafic de cocaïne. Mais pour les grands criminels c’est bientôt le chant du cygne. Décembre 1993. Lors d’une opération de l’armée, Pablo Escobar est tué, signant la fin du chef du plus puissant cartel de Colombie, celui de Medellin. Ce boss était parvenu à mettre en place une véritable organisation internationale pour recycler l’argent lié à ses trafics de drogue. Deux ans avant la mort du caïd, cinq trafiquants sont arrêtés à Genève. Cette bande s’était rendue dans la Cité de Calvin pour mettre au point une vaste opération de blanchiment des narcodollars notamment possédés par Pablo Escobar.

Un laboratoire secret de cocaïne

En 1997, la Colombie organise une conférence internationale destinée à mieux lutter contre le blanchiment d’argent. Carla Del Ponte, procureure générale de la Confédération, et le procureur genevois Laurent Kasper-Ansermet font partie des orateurs. Le forum dure plusieurs jours. Un officier supérieur colombien demande un jour à ses hôtes s’ils souhaitent en savoir plus sur les aspects opérationnels. «Par exemple, visiter un laboratoire clandestin?», demande le Genevois sous forme de boutade. Mais le militaire sud-américain prend cette remarque très au sérieux...

Après un vol interne en avion, en direction du sud-est du pays, deux hélicoptères de l’armée attendent la délégation helvétique. Les appareils survolent ensuite des champs de cocaïers. Le premier hélicoptère atterrit au milieu d’une vaste clairière à proximité de laquelle un laboratoire clandestin avait été démantelé quelques jours plus tôt. «Je suis à bord du second hélicoptère. Soudainement, j’entends des tirs d’armes automatiques», se souvient le procureur genevois. Les militaires ripostent. Le second appareil se pose. «Pendant un moment, j’avais cru à une mise en scène de l’armée destinée à nous impressionner.» Mais les impacts de balles, dans les carlingues, étaient bien réels. Le lendemain, les médias colombiens avaient relaté l’attaque, attribuée aux FARC qui contrôlaient en partie les champs de production et revendaient la drogue pour se procurer des armes et survivre dans la jungle. En Europe, les «années fric», celles des années 1980, continuent de déboucher au début des années 1990 sur de gigantesques affaires financières.

Carla del Ponte en 1997 en Colombie.

Carla del Ponte en 1997 en Colombie.

Le sorcier de la finance internationale

Mais qu’allait-il faire dans cette galère? À l’origine d’une des plus importantes débâcles financières de Suisse, Florio Fiorini, sorcier déchu de la finance internationale, se pose cette question, qui le hante. Entre les quatre murs de la prison de Champ-Dollon, qui l’héberge depuis octobre 1992, le financier italien n’est plus que l’ombre de lui-même. Éphémère Crésus. Il tourne en rond, méditant sur son propre destin. Et s’épanche dans un livre-confession qui sera publié, à Milan, en juin 1993. Il écrit vite, vingt chapitres consacrés chacun à une personnalité qu’il a croisée au cours de sa vie trépidante. Dans le dernier chapitre, intitulé avec modestie «Florio Fiorini», il se parle à lui-même. Et ne peut s’empêcher de calculer, une fois de plus, et mieux que mille comptables, le trou qu’il a causé : 2,1 milliards de francs…

Tout commence huit ans plus tôt. En 1985, âgé de 45 ans, il croit avoir repéré une poule aux œufs d’or en ramassant une obscure société qui vivotait à Genève. Au final, il s’est retrouvé avec une coquille vide, liquidée en 2013 après une longue faillite. Mais cette vieille compagnie était d’extraction papale, donc a priori honorable. Fondée en 1893 par le Vatican, la Société Anonyme Suisse d’Exploitations Agricoles (Sasea) avait, aux yeux du Florentin, un avantage de taille : elle était cotée en Bourse. Ce fils d’agriculteurs toscans devenu un crack du monde des affaires avait-il aussi été séduit par le nom de la vieille firme? Mystère.

En tout cas, les temps se prêtaient particulièrement bien aux opérations de «levier», consistant notamment à racheter une société détenant de grosses réserves immobilières avant de l’endetter pour financer l’opération. Et les pépites les plus recherchées sont les compagnies cotées en Bourse car elles permettent d’attirer très facilement des montagnes d’argent. Dans les années 1980, Wall Street regorge de raiders se filant de bons tuyaux boursiers, repérant les société boiteuses, oubliées, mal gérées, situées dans des secteurs bouchés. Souvent charmeurs, parfois corrupteurs, ces aventuriers savent se faire ouvrir les portes des banques. Et l’argent coule à flots car les établissements financiers sont tous lancés dans une course effrénée pour grossir, grossir, grossir…

Il rêve de briller à Hollywood

Ces méthodes sont immortalisée par Hollywood. En 1987, le film «Wall Street» crève les écrans grâce à un Michael Douglas jouant à merveille le rôle de Gordon Gekko, flibustier de la finance.

Hollywood? Florio Fiorini en rêve! Mais pour l’heure il construit avec un mélange d’intuition, d’opportunisme, de culot et de malice son empire. Il empile les raisons sociales, les installe aux quatre coins de la planète, en ciblant surtout les paradis fiscaux, Monaco, le Luxembourg, les Caraïbes, Panama. Et cet homme rondouillard flottant dans des costumes trop larges sait magnifiquement bien s’entourer. De son passage au sein d’ENI (Ente Nazionale Idrocarburi), le géant italien de l’énergie, il a retenu l’importance des appuis politiques pour réussir dans les affaires. Un à un, il attire des grands noms. L’ancien président de la Confédération Nello Celio tombe sous son charme allant jusqu’à présider la société. «Il a passé 60 ans mais garde l’énergie d’un trentenaire», dit Fiorini du primus inter pares des Helvètes. Le Toscan a un faible pour les particules, en arrivant à convaincre aussi l’Italien Antonio Lefebvre d’Ovidio de Clunières di Balsorano, professeur à Londres, le milliardaire autrichien Karl Kahane, l’homme d’affaires norvégien Audun Krohn, la famille néerlandaise Fentener van Vlissigen, gros propriétaires immobiliers… Mais aussi un ancien garçon de café, toscan comme lui, Giancarlo Parretti, qui lorgne également du côté des studios de cinéma californiens.


Florio Fiorini, patron de l'empire Sasea

De «Ben Hur» à «James Bond»

Les deux secousses boursières qui sonnent le glas des «années fric», en 1987 et 1989, freinent à peine l’appétit de Fiorini et Parretti. La firme cinématographique française Pathé échappe cependant aux deux compères, malgré l’appui de l’homme d’affaires Max Théret, proche du président François Mitterrand. Car, dans ce dossier, ils se heurtent au pugnace député français François d’Aubert, ancien président de la commission d’enquête antimafia de l’Assemblée nationale. L’homme politique barrera la route aux aventuriers.

Qu’à cela ne tienne! Ils viseront plus haut. Alors, lorsqu’ils apprennent que les studios de la mythique MGM (Metro Goldwyn Mayer) sont à vendre, ils foncent. Qui peut résister à ce lion rugissant riche des droits sur des films mythiques, de «Ben Hur» à «Autant en emporte le vent» en passant par «Le Docteur Jivago» ou - sous franchise – la série des «James Bond»? Mais il leur faut une banque un peu trop naïve. Et surtout avide de briller encore davantage sur le plan international. Fiorini et Parretti se rendent vite compte que le Crédit Lyonnais pouvait tomber dans leurs filets.

Premiers signaux alarmants

Avec l’argent du Crédit Lyonnais et d’autres banques suivant le groupe français en bêlant, l’Italien peut entamer sa cavalerie financière. Il bombarde le Vaudois Éric Baudat au conseil d’administration malgré un conflit d’intérêt qui ne serait plus toléré : Baudat est membre de la direction générale du groupe d’experts-comptables Fides, à Zurich, et c’est… KPMG Fides Peat, à Lausanne, qui contrôle les comptes de la Sasea! Rodolphe Rossi, mari de l’ancienne maire de Genève Madeleine Rossi, dirige de son côté cette société alors située au 30, rue du Rhône, au cœur de la Genève financière. En trois ans, le capital de la Sasea passera de 3 à 200 millions de francs, et même 400 millions à la veille de la banqueroute.
Mais les premiers signaux alarmants s’allument. Aux Pays-Bas, une des sociétés du groupe est décotée. Dans la haute finance, les retournements peuvent être spectaculaires. Lundi, on loue; mardi on lâche; mercredi on lynche. Les montages sophistiqués du Toscan ne passent plus. Surtout lorsqu’un de ses emprunts est assuré par une de ses propres sociétés! Mais Fiorini continue à réaliser ses emplettes. La société a même quitté ses bureaux de la rue du Rhône pour se rapprocher, rue De Candolle, des quartiers patriciens.
Endettée jusqu’au cou, la Sasea tombe cependant en faillite en octobre 1992. En France, le Crédit Lyonnais devient la banque à fuir. On la surnomme « Crazy Lyonnais ». L’établissement tente de vendre ce qui a encore de la valeur. Peine perdue: tout l’édifice s’écroule. Les plaintes pénales de créanciers affluent. Mais d’autres relations d’affaires, notamment italiennes, restent discrètes car leurs fonds n’étaient pas déclarés au fisc de leur pays.

À Genève, on fourbit les armes. Florio Fiorini est défendu par Marc Bonnant. Côté accusation, c’est le procureur genevois Laurent Kasper-Ansermet qui est aux manettes. Ce magistrat n’hésitera pas à se rendre même à Paris pour boucler le dossier genevois, en 1994.

92 contrats pour empocher une affaire

Vient alors le temps du vrai bilan. Des experts se penchent au chevet du groupe de Fiorini. Et ce qu’ils découvrent est proprement hallucinant. Un enchevêtrement de sociétés à Genève, Amsterdam, Londres, Rome, Los Angeles. Des rachats de coquilles vides. Des accords passés avec tout un chapelet de banques, y compris son propre établissement financier - on n'est jamais mieux servi que par soi-même - dénommé SIB Bank pour Sasea International Bank. Des investissements au Panama, à Riyad ou aux îles Samoa. Des notes effarantes d'avocats, qui pondent jusqu'à 92 contrats pour empocher une affaire. Un crédit de 25 millions de dollars pour construire un moulin à farine et un silo à grains au Yémen. Un contrat de vente de queues de bœuf séchées au Gabon…
Juin 1995. Procès. Florio Fiorini s’éponge le front. Soumis au feu roulant des questions du procureur Kasper-Ansermet, il fait front, tente de répondre grâce à sa mémoire, prodigieuse. Il a fait mille jours de prison. Il sera condamné à six ans pour faux dans les titres, escroquerie, fraude dans la saisie, banqueroute simple et obtention frauduleuse d'un concordat.

«Je ne suis pas dépressif»

Entre les quatre murs de sa prison, Florio Fiorini tente de mettre un peu de fantaisie dans ses pensées. Son livre est désormais achevé. Il avait commencé à l’écrire à Champ-Dollon le lendemain de son incarcération: «la police m'a arrêté hier après-midi, à mon bureau». Sous sa plume défilent les portraits de la plupart des protagonistes de cette gigantesque affaire. Nello Celio, mais aussi l'ancien président du conseil italien Giulio Andreotti, surnommé l’«Inoxydable» en raison de sa faculté à survivre aux affaires troubles italiennes. Et le colonel et ancien maître de la Libye Muammar Kadhafi, le shah d’Iran Reza Pahlevi, le banquier italien déchu Roberto Calvi, le chef conspirateur Licio Gelli, le président des États-Unis Ronald Reagan, Silvio Berlusconi, le prince Rainier de Monaco.

Fiorini fait aussi preuve d’un grand sens de l’humour : «Je ne suis pas dépressif. Pour qui a eu une vie aussi active que la mienne - et parfois aventureuse - la prison est une alternative à considérer.» Le Toscan se penche sur le trou d’un milliard de francs, ou plus allez savoir! Il admet tout, ses fautes, ses diaboliques échafaudages financiers. Et se demande pourquoi diable il avait voulu acheter la MGM avec l'argent du Crédit Lyonnais, cette banque qui disait toujours «oui».

Florio Fiorini peut se consoler en se disant qu’il n’est pas le seul Italien à devoir rendre des comptes à la justice.

Les banquiers se bouchent le nez

Dans toute la Botte résonnent les pas des juges traquant les aigrefins dans le cadre de la gigantesque affaire «Mani pulite (mains propres)». Beaucoup d’Italiens renommés avaient caché leurs fonds au Tessin, mais aussi à Genève. Et notamment au sein de la Karfinco, petit établissement genevois propriété de Pierfrancesco Pacini Battaglia. Tout comme Fiorini, Pacini Battaglia a trempé dans les méandres opaques du géant énergétique ENI.

Le juge italien Antonio di Pietro est à ses trousses depuis 1993. À Genève, sa banque est à prendre. C’est un Genevois qui la ramasse, François Rouge. Alors que les banquiers de la place se bouchent le nez en évoquant la «Karfinco», il fonce. Crânement. Et l’achète en 1997. Pourquoi? «Simple: c’était la banque la plus propre de Suisse! Carla Del Ponte, l’ancienne procureure de la Confédération, avait fait un raid dans ses bureaux. 80% de ses comptes étaient bloqués, détaille François Rouge. Nous avons dénoué les comptes, l’un après l’autre. Sans précipitation. Aucun client ne pouvait couiner.» Il remplace cette clientèle italienne «tondue» par une clientèle française de meilleure «virginité».

Les grandes affaires font toujours la une des journaux. Pendant ce temps, les lois se musclent. En 1998, une loi fédérale sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme cible les intermédiaires financiers, banquiers mais aussi gérants de fortune, exploitants de casinos, négociants en devises ou en métaux précieux. Et on demande à ce petit monde de bien se renseigner sur les PEP (personnes politiquement exposées), du chef d’État au général, en passant par les ministres, les dirigeants de sociétés étatiques ou de fédérations sportives internationales.

Le Congrès juif mondial reçoit un milliard

Mais c’est alors la question des fonds en déshérence qui domine l’actualité, suite à une plainte déposée en 1995 par le Congrès juif mondial (CJM), à New York. L’affaire se solde notamment par le versement de la part des deux géants bancaires UBS et Credit Suisse de 1,25 milliard de dollars au CJM, dont 800 millions réservés aux cas de déshérence en lien avec un compte en banque en Suisse. À peine le millénaire passé, l’arsenal pénal est complété, en mai 2000, par un article réprimant la corruption.

Au tournant du millénaire, une nouvelle affaire va tenir en haleine la France entière mais aussi Genève, où étaient basés de nombreuses sociétés-écrans ou personnages gravitant autour du géant pétrolier. Pour Sylvie Matelly, l’affaire Elf «est le plus gros scandale politico-financier qu’ait jamais connu la France». Une véritable «pieuvre de liens occultes».

Une affaire qui devait notamment coûter la place à Loïk Le Floch-Prigent, président du groupe Elf. En mai 2001, alors âgé de 57 ans, cet ex-patron de la SNCF, de Rhône-Poulenc et de Gaz de France s’épanche dans un livre-confession qui s’écoule à plus de 80 000 exemplaires un mois et demi après sa sortie de presse. D’autres personnages de roman sortent de l’ombre à l’occasion de cette retentissante saga. À l’exemple de Christine Deviers-Joncour, qui s’est nommée elle-même la «Mata-Hari du Périgord», biche au milieu des fauves, entraînant dans sa chute son compagnon Roland Dumas, brillant avocat, ministre des affaires étrangères, membre de la Résistance…

«Genève est une ville opaque»

Plus obscur, un agent secret français refait aussi surface, à Genève. Pierre Lethier. Un intermédiaire, un de plus. Il réside à Cologny, et s’épanche lui aussi à gros traits sur le canton: «sous ses airs riants de Célesteville du roi Babar, Genève est une ville opaque, secrète, injuste et dure». Et ajoute, très en verve, à l’adresse de sa cité éphémère : «sous son vertugadin de vieille cocotte soignée, la petite République de 400'000 habitants (aujourd’hui 500'000) cache un linge douteux».

Et ce fonctionnaire des services secrets tricolores tombé dans le cadre de la vente à Elf d’une raffinerie de l’ancienne Allemagne de l’Est n’épargne pas la Suisse, qui doit prouver qu’elle n’est plus la garce au cœur de pierre qui aida l’Allemagne de Hitler à tenir six mois de plus». Mais Pierre Lethier est un gentleman. Il sait corriger le tir en dépeignant aussi les attraits de la Cité de Calvin, l’air pur, la sécurité, la vie paisible avec enfants et amis, l’ouverture internationale «à tous les vents de l’esprit et le fait que les gens du pouvoir ne sont pas de suffisants personnages, comme à Paris». La nuance est de taille. Les broutilles, comme le rachat de la compagnie espagnole Ertoil, une opaque opération au cours de laquelle des intermédiaires se sont grassement rémunérés, ne le concernaient qu'à peine.

Loïk Le Floch-Prigent s'étonnera aussi que les juges ne se soient pas davantage intéressés aux responsables de la société genevoise Rivunion, qui aurait joué un rôle clé dans l'affaire, ainsi qu'à ceux d'Elf Trading, l'entité d'import-export également basée à Genève et longtemps présidée par André Tarallo, le «Monsieur Afrique» du géant pétrolier français. Enfin, Genève a longtemps servi de tête de pont à Alfred Sirven, l’homme des basses oeuvres du groupe Elf, créant des sociétés suisses à tire-larigot, et jonglant avec elles tout en détournant de l’argent.

Charge de dynamite

La saga Elf n'en finit pas de rebondir. En été 2001, une abondante documentation est adressée par les juges genevois à leurs confrères parisiens chargés de l'enquête. Ce dossier révèle que, sur les 173 millions d’euros (200 millions de francs à l’époque) qui ont alimenté les comptes dont Alfred Sirven était titulaire, environ la moitié a emprunté le canal de la société genevoise Rivunion. Si cette dernière passe entre les gouttes, ses dirigeants sentent le vent du boulet. En mars 2002, une charge de dynamite fait voler en éclats les vitres de la maison genevoise d’un de ses responsables, le Français Jack Sigolet. Les commanditaires de cet acte ne seront pas démasqués. Mais cela sent le roussi. Rivunion, bien garnie en avocats de paille, est dissoute le 13 mars 2002. En septembre, une perquisition est réalisée dans ses bureaux, dans le quartier des affaires proche de l’aéroport. Vidée, cette coquille tombe plus tard en faillite.

Quant à André Tarallo, il est marqué à la culotte par le pugnace juge français Renaud Van Ruymbeke. Le filet semble aussi se resserrer sur les destinataires des commissions Elf. Des noms de dignitaires africains commencent à circuler, comme celui d'Omar Bongo ou ceux de responsables de la République du Congo.

Un promoteur tombe dans ses filets

Les années 2000 sont dominées par la lutte contre l’argent du terrorisme. Mais la Suisse reste pointée du doigt, en particulier par l’OCDE. Malgré quelques cahots boursiers, la situation économique est bonne. La mondialisation bat son plein. La Chine se développe à une vitesse inimaginable. Mais la crise des subprimes, ces prêts hypothécaires pourris achetés et revendus par les banques, change brutalement la donne. Elle émerge en été 2007 aux Etats-Unis avant de s’étendre dans les pays occidentaux en 2008. En septembre, Lehman Brothers, cinquième banque d’affaires américaine, fait faillite. Peu après, Barack Obama remporte l’élection présidentielle. Le combat contre les fraudeurs du fisc s’intensifie. Un gros promoteur californien tombe dans les filets de la justice, entraînant dans sa chute son banquier. Son nom? Bradley Birkenfeld, employé par UBS Genève. Cet Américain plaide rapidement coupable et, en février 2009, une amende de 780 millions de dollars est infligée à UBS.

Washington exige ensuite la transmission de 52'000 noms de clients de la banque. Berne refuse en mettant en avant les atteintes à la souveraineté de la Suisse. Des passes d’armes juridiques et diplomatiques se déroulent ensuite dans les mois qui suivent. Finalement, les Helvètes s’engagent à livrer des détails sur environ 4450 comptes.

Mais, pressée de toutes parts, la Confédération cède sur le secret bancaire. Le 13 mars 2009, le conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz annonce que la Suisse s’aligne sur les standards de l’OCDE en matière fiscale.

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