César à Genève, le retour!

Textes: Pascale Zimmermann
Vidéos: Laurent Guiraud et Pierre Albouy
Photos: Laurent Guiraud et Pierre Albouy
Réalisation web: Olivier Bot
Correction: Nicolas Fleury


Hôte d’honneur de la nouvelle exposition du Musée d’art et d’histoire (MAH), César est de retour à Genève.

Deux-mille ans après la Guerre des Gaules, l’illustre Romain remonte le Rhône depuis Arles, personnifié par une belle tête en marbre blanc. Retrouvée en 2007 dans le fleuve par des plongeurs sous la direction de l’archéologue français Luc Long, cette pièce rarissime illustre la circulation fluviale entre Genève, le Léman et la Méditerranée. Et rappelle le passage du dictateur à Genève en 58 av. J.-C.

L'exposition permet de comprendre pourquoi Genève vit, depuis l’Antiquité, tournée vers le sud. Elle montre aussi la vitalité d’Arles, colonie romaine de première importance, à travers des œuvres tout à fait exceptionnelles découvertes dans le lit du fleuve ou dans son delta, aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Trois cent vingt-cinq objets archéologiques, mis au jour par des fouilles subaquatiques, ont été prêtés pour l’occasion au MAH par le Musée départemental Arles antique.
"César et Rhône", dont le commissariat a été confié à Béatrice Blandin, conservatrice responsable de l’archéologie au MAH, raconte un pan de l’histoire de Genève, tête de pont septentrionale de la vaste province romaine de la Narbonnaise, et de la Suisse romande de manière plus large, embrassant Nyon et Martigny. La beauté des œuvres exposées rivalise avec l’intérêt scientifique du propos pour capter l’attention des visiteurs.

“César et le Rhône. Chefs-d’oeuvre antiques d’Arles” au Musée d’art et d’histoire (MAH), rue Charles-Galland 2, du 8 février au 26 mai. Commissariat: Béatrice Blandin. Catalogue en vente sur place. Infos sur www.mah-geneve.ch

Visite d'une exposition majeure

Les salles Palatines du Musée d’art et d’histoire (MAH) forment le décor parfait d’une exposition d’archéologie. C’est donc tout naturellement qu’elles ont été choisies pour mettre en valeur les pépites de l’exposition “César et le Rhône. Chefs-d’œuvre d’Arles”, qui ouvre ses portes au public vendredi. Un parcours sobre, aéré et sans emphase permet d’apprécier pleinement les nombreux objets montrés (431 au total), loin de tout gavage.
Le tapis qui accueille le visiteur n’est pas rouge, mais marine strié de blanc. Il dessine le pont du chaland "Arles Rhône 3, découvert dans le lit du fleuve en 2004, qui nous fait naviguer de Genève à Arles et voyager dans le temps à la rencontre de César. Les eaux miroitantes se reflètent dans le mapping turquoise du plafond.

On peut, si l’on veut faire vite, foncer sur les chefs-d’œuvre, d’une beauté exceptionnelle, et s’en contenter : la “Vénus d’Arles”, superbe marbre prêté par le Louvre, ornait le théâtre antique de la colonie romaine au 1er siècle ap. J.-C.; le “buste de César”, d’un grand intérêt historique, et la sublime statue de bronze du “Captif” sont des rescapés : ils ont été sauvés des eaux du Rhône par des plongeurs archéologues ; une très belle mosaïque raconte l’enlèvement d’Europe ; deux statues d’Apollon et d’Hercule, découvertes à Martigny et mises à disposition par la Fondation Gianadda, témoignent de la vitalité du commerce fluvial dans nos régions à l’époque romaine ; deux sarcophages richement sculptés attestent d’une habile réutilisation de pièces païennes à l’ère chrétienne. Ces merveilles se dégustent aisément sans arrière-pensée.

Mais ce serait dommage d’en rester là, car si l’on se laisse captiver par chaque vitrine, on y découvre un contenu qui, très intéressant dans le propos, sait rester plaisant, intriguant, voire amusant. Vous n’avez sûrement jamais vu une pipette antique de dégustation de vin, permettant au marchand de faire tester à son client l’excellence de son breuvage ; une roue de chariot à dix rayons, en frêne, cerclée de fer, intacte bien que datant du IVe siècle, grâce aux sédiments du Rhône qui l’ont protégée ; un coffre de bois clouté trouvé dans le fleuve et lui aussi parfaitement préservé ; ou encore des conserves de poisson assaisonné aux olives concassées, embarquées par l’équipage à bord d’un chaland à fond plat, “Arles Rhône 3”, qui a coulé à pic devant Arles par une nuit d’automne et de crue du Rhône.

Pas de trace archéologique du passage de César

La porte des Palatines franchie, on entre de plain-pied dans la conquête romaine de cette Gaule du sud qui s’étend de Genève à Arles et deviendra la Province de la Narbonnaise. Un bronze magnifique figure un prisonnier, vaincu par Rome, connu sous le nom de “Captif”. On rappelle le passage de César sous nos climats, connu par son récit “La Guerre des Gaules”, mais qui n’est attesté par aucune trace archéologique à ce jour.

La première partie proprement dite de l’exposition raconte les trésors du Rhône et offre une belle palette de ces objets antiques sortis des eaux glauques du fleuve, depuis la première plongée de l’archéologue Luc Long en 1986 jusqu’à ce jour. Des jarres splendides et rares portent encore leurs "tituli picti", à savoir les étiquettes indiquant leur contenu : des coings, une sauce piquante vieillie à base de jeune thon ou des herbes médicinales marinées dans du lait d’ânesse. Aidé d’un bas-relief qui ornait un monument funéraire, le visiteur comprend comment on halait à bras d’hommes ces chalands à fond plat qui assuraient le commerce fluvial avant l’invention de la voile latine. La deuxième partie de l’exposition fait la part belle aux marchandises qui voyageaient par mers et fleuves.



La tête de César, un marbre exceptionnel du fondateur de la colonie d'Arles.

Quatre vies de Genevois à l’époque romaine

On séjourne ensuite un moment à Arles. Comment vivait-on dans cette colonie prospère, fondée par César au 1er siècle av. J.-C., surnommée “la petite Rome des Gaules” ? Les Arlésiens allaient au théâtre. Ils vivaient pour certains dans de riches villas et utilisaient mille petits objets délicieux qui, aujourd’hui, nous permettent d’entrer dans l’intimité de leurs foyers : peigne et cure-oreille, vases à parfum et pinces à épiler, bijoux, sandales et fibules, opinels et jouets.

On passe ensuite aux choses plus graves, qui forment la quatrième partie de l’expo. Le monde des idées. La vie politique ; le rôle prépondérant de César qui, le premier, osa faire battre monnaie à son effigie, de son vivant, en 44 av. J.-C. Et la religion : le paganisme d’un côté, le christianisme de l’autre et à la frontière, le réemploi de pierres tombales et de sarcophages des uns par les autres.

Et Genève, alors ? Dans une petite salle aménagée au fond de l’exposition, quatre stèles funéraires qui se trouvaient dans la cour du MAH ont été nettoyées au laser. Elles constituent des témoignages de la vie des Genevois à l’époque romaine et racontent quatre parcours de vie. L’une parle d’un meurtre, l’autre de la carrière d’un édile, une autre mentionne un nom gaulois, alors qu’une autre encore brosse le portrait d’une habitante de Genava. Les plaques de pierre voient leurs inscriptions révélées, inscrites clairement sur le mur et traduites. Ludique et didactique.

L’exposition s’achève sur la mention d’Hippolyte-Jean Gosse, conservateur des Musées archéologique et épigraphique, qui, au XIXe siècle, commença à collecter pour Genève des pièces antiques provenant d’Arles. On lui doit de pouvoir faire résonner aujourd’hui les traces archéologiques des deux cités baignées par les eaux du Rhône.



Statue du captif, un bronze de la fin du Ier siècle.

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