Les cent premières pièces ont débarqué en décembre. Le 15 janvier arrive le deuxième chargement en provenance d’Arles. Devant l’entrée de service du Musée d’art et d’histoire, sur le boulevard Jaques-Dalcroze, un gros camion vide son ventre sur la chaussée. Il contient les objets les plus lourds et les plus encombrants, d’où la présence, sur un autre véhicule, d’une grue au bras articulé.



Sans autre forme de procès, l’engin se saisit d’un sarcophage, enlève dans les airs ses 2,5 tonnes de marbre et dépose la précieuse cargaison sur le balcon du bâtiment Camoletti. C’est par là que le cercueil antique fait une entrée théâtrale dans les salles Palatines, qui accueillent “César et le Rhône”. “Il a fallu vérifier la solidité du sol avant d’y installer des pièces si conséquentes”, précise Béatrice Blandin, conservatrice au MAH, qui assure le commissariat de cette exposition.

Transport et assurance

Mille détails pratiques doivent être affinés lorsqu’on monte une manifestation d’une telle envergure. Les questions de transport et d’assurance sont cruciales. Au prêteur des objets revient le droit de choisir le transporteur. Le coût du voyage est assumé par le musée qui emprunte les pièces, de même que les frais – très importants – d’assurance.



Soizic Toussaint et Clémentine Millerat ont fait le voyage d’Arles avec les précieuses caisses, l’une en train, l’autre dans le camion en compagnie des objets. Mandatées par le Musée départemental Arles antique, elles sont à Genève pour plusieurs jours, tenues d’assister à l’ouverture de chaque caisse, au déballage de chaque pièce. Sous le bras de Soizic Toussaint, deux lourds classeurs contenant, pour chaque chose prêtée, un “constat d’état” avec photo et description.

Si les caisses contenant les antiquités en pierre peuvent être ouvertes illico, les autres doivent patienter vingt-quatre heures, le temps pour les objets de s’accoutumer à la température des salles du MAH. Certains n’ont jamais voyagé, d’autres sont montrés au public pour la première fois, comme cette roue de chariot à dix rayons, en bois, cerclée de fer. Elle vient d’être restaurée, à Grenoble, par le Commissariat à l’énergie atomique Arc-Nucléart.

“César était tout vert en sortant de l’eau”

Pour l’ultime livraison des trésors arlésiens, le 31 janvier, Alain Charron, conservateur en chef des collections du Musée départemental Arles antique, supervise la manoeuvre. On sort de leurs boîtes le buste en marbre de César et la statue en bronze du “Captif”. Chacun retient son souffle jusqu’à ce que ces merveilles soient arrimées solidement et protégées par une cloche de plexiglas.



Afin de procéder au constat d’état, Soizic Toussaint éclaire à l’aide de son smartphone les oreilles de César. Le marbre en est translucide, fin au point de mimer le moelleux d’une chair tendre. “Dire qu’il était tout vert à cause des algues quand on l’a sorti de l’eau!” se souvient dans un rire Alain Charron.

César ou pas César?

“Nous ne pouvons pas être formellement certains qu’il s’agit bien de César”, précise-t-il par honnêteté intellectuelle, “car nous n’avons pas d’inscription avec son nom. Toutefois, en examinant les monnaies frappées à son effigie, la ressemblance est là.” En outre, l’illustre Romain a fait d’Arles une colonie florissante: il n’est pas absurde de penser que la ville, reconnaissante, a fait sculpter quelques statues à la gloire du dictateur.

Loin des considérations stylistiques, Luc Long a ses arguments pour affirmer qu’il s’agit bien là de César: “Lorsque j’ai découvert ce buste, il se trouvait parmi d’autres sculptures en marbre de diverses époques, jusqu’au IVe siècle, représentant toutes des divinités. En ce temps-là,Théodose règne sur l’empire romain. Il est chrétien. On peut supposer qu’il a souhaité détruire toutes les représentations de dieux païens et faire le ménage parmi ces poupées fardées! César, divinisé, y est passé avec le reste.”