“J’ai échangé Ramsès contre César!”

Dans les musées comme partout ailleurs, les grandes choses naissent souvent de petites histoires et se nourrissent de rencontres. “César et le Rhône” ne fait pas exception. “C’est une expo de réseau”, explique Jean-Yves Marin, directeur du MAH, qui décortique pour nous les étapes de son élaboration.


Jean-Yves Marin, directeur du Musée d'Art et d'Histoire.

“Je connais Claude Sintes, le directeur du Musée départemental Arles antique, depuis trente ans. Lorsque j’ai pris mes fonctions à la tête du Musée d’art d’histoire de Genève il y a dix ans, nous nous sommes dit: “Tiens, c’est amusant, nous sommes chacun à un bout du Rhône. Dans la perspective de l’histoire et de l’art antiques, c’est symboliquement très fort !”



Les années passent. En 2016, Claude Sintes convoite la statue de Ramsès II que possède le MAH. Il aimerait la présenter dans l’exposition que le musée arlésien consacre au prince Khâemouaset, le fils du pharaon de la XVIIIe dynastie. “J’ai donc échangé Ramsès contre César !” résume dans un sourire Jean-Yves Marin. Le directeur du MAH reçoit “cinq ou six demandes de prêt par an” pour la statue de Ramsès II, qu’il éconduit toujours en raison de la valeur de la pièce et des difficultés que son transport suppose. “Mais là, la contrepartie était vraiment grande ; le musée d’Arles est fiable ; et je voyais se dessiner une problématique extrêmement intéressante pour Genève autour du Rhône et de la conquête des Gaules par César.”


Mosaïque "L'enlèvement d'Europe", Fin du IIe-début du IIIe siècle apr. J.-C.

En raison du référendum et du vote sur l’extension-rénovation du MAH, l’échange “Ramsès contre César” ne peut être simultané. L’Egyptien voyage à Arles deux ans avant que le Romain ne remonte la Vallée du Rhône jusqu’à Genève.

Une Vénus venue du Louvre


Vénus d'Arles, Dernier quart du Ier siècle après J.-C.

Autre pièce du puzzle indispensable à la nouvelle exposition du MAH, la Vénus d’Arles, qui loge au Louvre depuis la fin du XVIIe siècle. “Là aussi, ce prêt est une affaire de réseau: Jean-Luc Martinez, qui dirige le Louvre, est archéologue, comme Sintes et moi. Martinez est helléniste, Sintes est spécialiste de la période romaine et je suis médiéviste. Nous sommes complémentaires, et c’est ce qui crée des dynamiques intéressantes. Il a été facile de nous mettre d’accord pour “César et le Rhône”.” Il fallait au MAH une pièce majeure qui témoigne de découvertes archéologiques anciennes, une œuvre qui soit dans les collections de longue date. “Nous montrons donc la Vénus ici à Genève, alors qu’elle ne quitte jamais Paris…” souligne le directeur.

A la conquête du public

Les pièces archéologiques tirées du Rhône, qui résident au Musée départemental Arles antique, ont fait l’objet de quatre expositions avant celle du MAH : deux, assez pointues, étaient destinées à une audience confidentielle. En 2009 par contre, le musée arlésien les a mises en valeur dans un accrochage grand public ; 400 000 visiteurs s’y sont précipités, un record pour ce qui était, avant son agrandissement et son renouveau, une institution relativement secondaire. En 2012, les trésors rhodaniens ont les honneurs du Louvre. Bingo ! “Arles, les fouilles du Rhône. Un fleuve pour mémoire” attire un million de personnes, ni plus ni moins. Un score énorme, même pour Paris. Le Musée d’art et d’histoire fera-t-il aussi bien avec “César et le Rhône. Chefs-d’œuvre antiques d’Arles”?

Si l’on ajoute encore le “Captif” – un bronze superbe datant du tournant de notre ère et représentant un prisonnier – Jean-Yves Marin tient en main son brelan. “Les visiteurs viendront probablement d’abord pour voir ces pièces rarissimes et splendides. Nous les retiendrons ensuite avec des objets qui n’ont jamais été exposés, comme cette roue de chariot du IVe siècle, en bois, cerclée de fer, retrouvée dans les eaux du Rhône qui l’ont conservée en parfait état. Cette découverte nous permet de parler de l’archéologie subaquatique et des fouilles récentes. Mon souci constant est de marier dans une exposition l’intérêt scientifique et la beauté.”


Coffre Ier-IIe siècle après J.-C.

Avec “César et le Rhône”, Jean-Yves Marin tire son feu d’artifice d’adieu. Son mandat à la tête du MAH s’achève à la fin de 2019. “Je suis profondément heureux de terminer sur une grande expo d’archéologie. Elle permet de repositionner Genève dans ce domaine et de rappeler que le Musée d’art et d’histoire possède, avec Bâle, la plus belle collection d’objets antiques de Suisse.”

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