Le vertige
de la densité
s’invite aux Vernets

Hors norme de par sa concentration et ses volumes, le futur ensemble interpelle même ses concepteurs. Qui sont pris de doutes alors que le permis de construire est presque prêt.

«Sur ce coup-là, on ne peut pas se rater.» Le conseiller d’État Antonio Hodgers est conscient de l’immense défi qui repose sur lui-même et son administration. Le futur quartier des Vernets se résume pour l’heure à d’épais cartons remplis de plans et d’études. Mais bientôt, les permis de construire seront délivrés, et ce passage à l’acte donne des sueurs froides. Même certains des investisseurs ne cachent pas une certaine fébrilité.

À la caserne des Vernets va succéder un quartier de 1500 logements. Et chacun espère que les Genevois n’auront pas le sentiment qu’on leur a fait une nouvelle caserne. «Tout le monde joue un peu à se faire peur, commente l’architecte cantonal, Francesco Della Casa. C’est la dernière qui sonne pour s’assurer que tout soit fait au mieux.»

«Oui, nous avons tous le trac car ici, nous sortons des modèles dont nous avons l’habitude, relève Saskia Dufresne, la directrice de l’Office des autorisations de construire (OAC) et du projet Praille-Acacias-Vernets. Mais ce trac est salutaire, il nous permet de faire les derniers bons arbitrages en faveur de la qualité.» Une qualité indispensable, notamment pour la suite. Car si ce quartier représente la première pièce du vaste projet d’urbanisation Praille-Acacias-Vernets, il en est aussi le modèle. Rater les Vernets, c’est s’assurer des résistances pour le reste du projet.

«Nous avons tous le trac car ici, nous sortons des modèles dont nous avons l’habitude.»

La ville change d’échelle

La maquette du futur quartier révèle d’emblée son impact. Il est non seulement très dense mais propose aussi des bâtiments plus hauts et plus épais que d’ordinaire. Avec eux, la ville change d’échelle, comme les voitures, qui sont toutes devenues plus grosses.

Le projet, issu d’un concours, se démarque avec deux grands îlots disposant chacun d’une vaste cour végétalisée à laquelle on accède par des passages sous les immeubles. Par leurs dimensions, ces derniers sont proches de ceux du square du Mont-Blanc, aux Pâquis. À la différence qu’avec leurs neuf étages sur rez-de-chaussée, ils culmineront à 30 mètres, contre 22 ou 24 mètres à la corniche au Mont-Blanc.

Le projet prévoit aussi une tour du côté de l’Arve, destinée à des logements. Avec ses 86 mètres de haut, elle dépassera d’une vingtaine de mètres sa voisine d’en face, celle de la télévision. Enfin, un quatrième bâtiment, consacré à des activités, sera érigé à l’autre bout du secteur.

L’école qui fait jaser

Un espace était encore à prendre, au pied de la tour. Il le sera par une école, désignée en janvier à l’issue d’un concours organisé par la Ville de Genève. Ce choix a fait jaser. Les investisseurs espéraient conserver une partie de cet espace pour en faire la place du quartier, un «lieu central de respiration». Or, le jury du concours a choisi l’école qui s’étale le plus et empiète sur tout le périmètre. Les espaces publics? Les classes étant situées à l’étage, le rez-de-chaussée abritera le parascolaire et des locaux pour les habitants, répond le jury, qui promet qu’ainsi, l’école sera «un lieu de convivialité et de partage».

«Ce choix nous a effectivement surpris, reconnaît Saskia Dufresne. Nous allons nous y adapter tout en veillant à ce que l’école soit effectivement un lieu de vie pour le quartier, comme le jury le préconise.» Un effort supplémentaire sera par ailleurs porté sur les autres espaces publics, notamment les allées arborisées.

Pour la directrice de l’OAC, c’est une contrainte, une de plus, parmi les dizaines qui se contredisent parfois. Et en raison de laquelle il faut procéder à de délicats arbitrages.

Un exemple est révélateur de ce travail de pondération entre des intérêts divergents, en l’occurrence la sécurité et la qualité des logements. Le projet prévoyait au départ des immeubles hauts de 33 mètres. Or, au-delà de 30 mètres, les normes incendie préconisent des mesures constructives onéreuses, comme un ascenseur pour les pompiers ou des cages d’escalier pressurisées. Trop cher à réaliser, à moins de rajouter plusieurs étages pour absorber les coûts.
Pour rester sous les 30 mètres, la hauteur des logements a donc été fixée à 2,50 mètres. En soi, cela n’a rien de choquant. Sauf pour certains appartements, très profonds, dont la qualité pourrait en pâtir. Que faire alors? Enlever un étage pour créer des logements plus hauts? On pense plutôt agrandir certaines pièces pour les rendre plus agréables. Avec comme conséquence de réduire le nombre de logements, et donc la rentabilité de l’immeuble.

La critique, garante de qualité

«La réussite de ce futur quartier se joue sur une multitude de ces petits détails, commente Antonio Hodgers. Nous voulons éviter que les préavis des différents services soient appliqués sans réflexion globale.» «Nous devons nous assurer que la qualité ne se perde pas au fil du projet», ajoute Saskia Dufresne. C’est la raison pour laquelle une grande mise à plat a été effectuée avant le feu vert final, attendu cet automne.

On y soumet à la critique les espaces publics, la qualité des rez-de-chaussée, la typologie des appartements ou encore les façades. Une mise à plat où il sera aussi question d’argent, puisque les investisseurs paieront une rente à l’État, propriétaire du terrain.

Pilote du projet pour les investisseurs, Patrick Pillet balaie les inquiétudes. «Pour une fois, nous réalisons un quartier de ville, comme aux Eaux-Vives. La densité est un défi, certes, mais nous avons tous intérêt à fournir un projet de qualité et cela en prend bien le chemin.» Les travaux pourraient démarrer en 2020.

«La réussite de ce futur quartier se joue sur une multitude de ces petits détails»
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