Écolo, la densité? «Ça reste à prouver»

Jérôme Chenal, codirecteur du master en urbanisme à l’UNIGE, remet en question la course à la densité.

Elle est devenue la norme. La densité, présentée comme le remède aux problèmes environnementaux et de mobilité, fait consensus chez les urbanistes et politiques. Pour Jérôme Chenal, codirecteur du master en urbanisme à l’UNIGE, cette doctrine doit être remise en question.

Vous remettez en question le caractère écologique de la ville dense. Pourquoi?
Au niveau mondial, il y a une injonction à la densification. Mais paradoxalement, c’est au centre-ville que les effets néfastes de cette même densification se manifestent le plus. La pollution de l’air y est la plus forte, la pluie y est mal évacuée à cause du manque de végétation et de l’imperméabilité des sols. La ville hyperdense n’est pas résiliente face aux aléas climatiques, voués à se multiplier à l’avenir. De plus, il est difficile d’y développer efficacement l’énergie solaire en raison des nombreuses ombres portées. Rien ne prouve que la densité est une bonne idée.

Un de vos objets de recherche est l’«optimum de densité». De quoi s’agit-il?
L’hyperdensité coûte cher en énergie, de même que la très faible densité. Entre ces deux extrêmes se promène un optimum de densité, qui dépend directement de la morphologie de la ville et du climat dans lequel elle se situe. Traditionnellement, les formes urbaines ont toujours été adaptées au climat et aujourd’hui on nie cela en donnant une réponse uniquement: la ville dense qui serait durable. Or, cette durabilité devrait avant tout passer par la prise en compte des réalités climatiques.

Comment voyez-vous, par exemple, le futur quartier des Vernets?
Avec deux tiers de loyers subventionnés, il y a une forte volonté de maintenir dans le centre des populations qui ne pourraient simplement pas y rester si on laissait faire la loi de l’offre et de la demande, donc c’est une bonne chose. Mais ce qu’il faut voir, c’est comment seront dessinés les espaces publics. On pense toujours en termes de bâti et de «beaux bâtiments», mais ce qui compte, c’est comment vont vivre les rues et les places. L’enjeu est ce qu’il va se passer entre les bâtiments, et pour le moment, il n’y a pas encore de réponse probante.

Comment expliquez-vous le rejet de la densité par une partie de la population?
Les urbanistes, en bons petits soldats, appliquent les prérogatives politiques, qui demandent de la densification et mettent de côté les aspirations des gens. Pendant cinquante ans, le système a vanté le modèle de la villa individuelle et de la voiture personnelle. Durant les Trente Glorieuses, on a ainsi inventé la «famille nucléaire suisse», avec deux enfants, un jardin et un chien. Puis du jour au lendemain, on leur a dit: «Vous avez tout faux, il faut vivre en ville, dans un appartement.» Or, un tel changement nécessite de travailler sur les représentations et cela prend du temps.
De plus, il y a un décalage entre la sociologie des riches et celle des pauvres. Nous, universitaires, avons tendance à projeter les aspirations des élites sur le reste de la société. Or, tout le monde ne veut pas d’un mode de vie écolo-urbain. Prenez le télétravail, par exemple: pour enterrer la voiture, on a dit que le train est génial car il permet de travailler tout en se déplaçant et donc de gagner du temps. Mais ce sont les élites, et même pas toutes, qui ont pour métier de rédiger des documents ou des mails. L’électricien ne peut pas travailler dans le train. Nous, universitaires, avons pour responsabilité de regarder les vrais besoins et aspirations des gens en face.

Vers quelle densification doit-on tendre, selon vous?
Il faut faire vivre les hypercentres, de sorte qu’ils ne soient plus le royaume exclusif des bureaux. On est obligé de réinvestir les centres-villes avec du logement. Pour cela, il faut une vision d’ensemble. L’urbanisme est la recherche de la cohérence entre des politiques sectorielles extrêmement variées: l’aménagement, la mobilité, la santé, l’éducation, les loisirs, pour ne citer qu’eux. Mais pour l’instant, cette cohérence n’existe pas. Pour la créer, il faut un État interventionniste, qui répartit équitablement les bureaux et les logements. Rien n’empêche la force publique de faire de l’immobilier.

«Les urbanistes, en bons petits soldats, appliquent les prérogatives politiques, qui demandent de la densification et mettent de côté les aspirations des gens. »

L’écoquartier de Vauban, un modèle pas si parfait

Vous baragouinez quelques mots d’allemand, cultivez une conscience écologique et souhaitez un quartier chaleureux? Ne cherchez plus: l’écoquartier Vauban, érigé en modèle du genre et situé au centre-ville de Fribourg-en-Brisgau, est fait pour vous.

La mobilité douce règne. Tous les habitants ont signé un contrat leur interdisant d’acheter une nouvelle voiture pendant quinze ans. Le prix élevé des places de parc, de 15 000 à 17 000 euros, achève de dissuader les résidents. Résultat: par tranche de mille habitants, il n’y a que 172 voitures. Seule la moitié des ménages en possède une, et leur vitesse est limitée à 6 km/h. Vélo, tramway et bus sont les principaux modes de transport.

Les bâtiments produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Une isolation efficace combinée à une forêt de panneaux solaires sur les toits offrent au complexe locatif construit durant les années 90 un bilan énergétique positif. Chaque maison produit entre 4000 et 5000 kWh par an pour une consommation électrique de 3000 kWh en moyenne. Bois et gaz naturels fournissent la majorité de l’électricité. En plus, le quartier semble convivial, avec des espaces verts, une offre culturelle et sociale développée et un sens communautaire. D’après un sondage effectué en 2003, 90% des habitants s’y plaisent.

Manque de mixité sociale

Vous êtes convaincu? Ne vous réjouissez pas trop vite. Malgré la volonté initiale d’intégrer toutes les couches sociales, avec des solutions pour réduire le prix du loyer, force est de constater que la diversité souhaitée n’est pas au rendez-vous. «La structure socioprofessionnelle de ce quartier est relativement homogène: il y a surtout des enseignants et des professions libérales, pointe une étude de l’Université de Fribourg-en-Brisgau. On est loin de la mixité qui avait été affichée au début. Il s’agit d’un microcosme alternatif», conclut l’auteur de l’étude.

Jérôme Chenal abonde: «Pour que ces quartiers fonctionnent, comme à Vauban, il faut que les gens aient les mêmes aspirations. Or quand il faut faire avec Monsieur Tout-le-monde, on ne sait pas si ça marche.» Le professeur d’urbanisme évoque aussi des loyers peu accessibles pour les personnes à faible revenu. «S’il n’y a pas de mesures d’accompagnement, c’est impossible pour les personnes non aisées de se loger en ville. La densification sans régulation publique amène à de la fragmentation sociale.»

«Pour que ces quartiers fonctionnent, il faut que les gens aient les mêmes aspirations.»
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