Quand les riverains font de la résistance

C’est une coulée verte, annonciatrice de la campagne voisine, qui dévale jusqu’au vallon de l’Aire. Une demeure séculaire domine ce terrain richement arboré, ponctué sur son flanc oriental de discrets pavillons des années 60 et bordé à l’ouest par des villas. Près du cours d’eau, le domaine des Ormeaux s’évase sous les villas pour inclure un champ en friche. On a beau se trouver dans la très urbaine commune d’Onex, le silence prévaut. Il est difficile d’imaginer que quelque 200 logements vont pousser ici même!

C’est pourtant le cas. Un plan localisé de quartier (PLQ) et une modification de zone sont en gestation. La Fondation officielle de la jeunesse (FOJ), dont les locaux vétustes occupent cette propriété de l’État, s’est alliée à cette fin à la Fondation immobilière de la Ville d’Onex (FIVO). Leur dessein commun permettrait à la première de financer des structures neuves et à la seconde d’accroître son parc de logements, tout en développant des synergies entre ces deux volets. On prévoit aussi des équipements publics.

Mais cette densification fait sourciller certains voisins. «On a découvert le projet par hasard lors d’une réunion, raconte Denis Belleville, voisin des Ormeaux et membre de l’Association nature et patrimoine du Val d’Aire (ANPVA). On a cherché à en savoir plus et on s’est rendu compte que c’était déjà bien avancé.» Ils n’ont pas été seuls à être surpris. «Conseiller municipal, je siège au conseil de la FIVO et je n’étais au courant de rien jusqu’à ce qu’on nous présente un projet tout ficelé», relate Jean-Paul Derouette, président de la commission d’urbanisme du Délibératif onésien.

À Onex, les voisins d’un projet de densification apportent leurs contrepropositions.

Un argumentaire étayé

L’ANPVA se garde de rejeter toute intervention. Comptant en son sein un architecte de renom retraité, elle étaye avec soin une contreproposition. «On peut certainement bâtir dans les zones constructibles le long du vallon de l’Aire mais il faut absolument y préserver un caractère rural et respectueux de l’environnement», résume Michel Marti, président. L’association rejette le vœu officiel de changer l’affectation du site qui passerait de la zone villas à la zone 4A dite urbaine, autorisant des édifices grimpant à 15 mètres à la corniche ou 18 mètres en attique, soit six niveaux. Ce gabarit contrasterait avec tout le voisinage, le plus souvent classé en zone villas, sauf le quartier adjacent de Belle-Cour, en zone 4B (rurale ou villageoise), avec un maximum de 10 mètres à la corniche. C’est précisément ce format que l’ANPVA pourrait accepter aux Ormeaux, quitte à réduire la voilure du projet.

«On nous dit que bâtir en hauteur préserverait les espaces naturels au sol, mais nous répliquons que c’est la multiplicité des logements qui fera pression sur la nature, argue Jacques Roulet, membre du comité et architecte. Cette nature que nous observons depuis des années doit être préservée.» Les membres ont repéré un couloir biologique parallèle à la rivière que les nouveaux immeubles scinderaient. Ils demandent donc de laisser intacte le bas du site où le plan directeur cantonal ne prévoit d’ailleurs pas de densification. Enfin l’ANPVA s’inquiète de la mixité du futur quartier, où les foyers de la FOJ se cumuleraient à des logements sociaux.

«On nous dit que bâtir en hauteur préserverait
les espaces naturels au sol, mais nous répliquons que c’est la multiplicité des logements qui fera pression sur la nature.»

Multiples interventions

L’association n’est pas seule à regimber. Le PLQ achève d’être révisé de fond en comble après que le conseiller d’État Antonio Hodgers a demandé, il y a un an, de préserver la villa de maître dont la démolition projetée avait fait réagir 2000 pétitionnaires à l’appel du groupe «Contre l’enlaidissement de Genève». Une autre pétition a circulé cet hiver en lien avec les densifications prévues au sud de la commune. L’Association du Vieil Onex s’inquiète pour la route du Grand-Lancy, classée sur le plan fédéral, qui borde la parcelle des Ormeaux par le nord.

De nombreuses fées veillent donc sur le berceau du PLQ. Assez pour influencer les autorités? En décembre, il s’en est fallu d’une voix pour que le Conseil municipal appuie le souhait de l’ANPVA au sujet du zonage des Ormeaux. Reste que la magistrate Carole-Anne Kast, présidente de la FIVO, balaie les arguments de l’association. «Leur projet est irréaliste au vu des objectifs de l’État, propriétaire du site, et consiste surtout à écarter toute construction proche de chez eux, martèle la socialiste. Si on épargne le bas de la parcelle, on devra bourrer les abords de la villa, ce qui risque de fâcher les tenants du patrimoine et de tout bloquer. Bâtir en hauteur permet de conserver des espaces de qualité au sol et de fournir des équipements publics dont le sud de la commune a besoin.»

Appels à la concertation

Voilà donc les membres de l’association soupçonnés de donner dans le NIMBY, acronyme anglophone signifiant «pas dans mon arrière-cour» et désignant les oppositions locales aux projets de construction. Mais ce jugement n’est pas unanime. «On ne peut pas ne pas tenir compte des riverains, plaide Jean-Pierre Pasquier, conseiller municipal PLR. On l’a vu aux Palettes: la levée de boucliers a mené au débat et au compromis.» Une allusion au PLQ lancéen des Semailles, qui a été revu à la suite d’une concertation avec des résidents propriétaires. La démarche avait alors été suivie de près par la députée suppléante Christina Meissner (PDC), qui garde aussi un œil sur les Ormeaux. «Le président de l’ANPVA n’est pas voisin des Ormeaux et ils ne rejettent pas toute construction, souligne-t-elle. L’Exécutif doit s’ouvrir à la concertation!»

Carole-Anne Kast rappelle que la procédure d’adoption d’un PLQ implique une enquête publique. La commission d’urbanisme du Conseil municipal, elle, compte vouer une prochaine séance à ces doléances associatives. Mais c’est le Canton qui aura le dernier mot.

La révolte des quartiers contre le bétonnage sans fin

Le cas des Ormeaux n’est pas unique à Genève. Dans plusieurs quartiers et communes du canton, des riverains se regroupent pour tenter de faire entendre leur voix et négocier une densification qui leur convient.

Créée en juillet 2017, l’association Sauvegarde Genève se présente comme le fer de lance de cette mobilisation. «Certaines associations d’habitants n’ont pas les moyens de se défendre, nous leur donnons un coup de main et fédérons les différents groupes, explique Jean Hertzschuch, président de Sauvegarde Genève. C’est l’occasion également de croiser les informations.»

Des mouvements de contestations des plans du Canton ou des communes ont ainsi émergé aux Cherpines, au Petit-Saconnex, à Chêne-Bougeries et aux Eaux-Vives. Les arguments avancés se recoupent. Les riverains dénoncent un bétonnage à outrance qui fait fi du patrimoine architectural existant et des espaces verts. «Nous ne nous battons pas contre la densification en soi mais contre les incohérences», résume Jean Hertzschuch. Par exemple? «Construire des logements avant même les solutions de mobilité», répond-il.

Pour ce militant, les autorités devraient davantage inclure les riverains dans les projets urbanistiques: «Aujourd’hui, nous les entendons à peine.»
Au sein des associations, la colère gronde pourtant. «La façon de faire du Canton et de la Ville de Genève nous pose beaucoup de problèmes, tranche le président de Sauvegarde Genève. La densification telle que pratiquée aujourd’hui n’améliore pas la qualité de vie des habitants. Au contraire.»

Sauvegarde Genève n’est pas le seul groupement cantonal à s’opposer aux projets étatiques. Le mouvement Contre l’enlaidissement de Genève, créé à la fin de 2016, se positionne également régulièrement contre les démolitions de bâtiments avalisées par les autorités. Pour tous ces différents acteurs, la solution viendra certainement d’une législation plus stricte. «Une loi qui oblige les promoteurs à réserver un pourcentage minimum de surface à des espaces verts», détaille Jean Hertzschuch.

«La densification telle que pratiquée aujourd’hui n’améliore pas la qualité de vie des habitants. Au contraire.»
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