Leurs beaux quartiers...

En densifiant, Genève n’a pas toujours réussi sa mue. Mais il y a aussi des exemples positifs. Quatre connaisseurs genevois nous livrent leurs coups de cœur.


«Tout n’est de loin pas de qualité, mais il existe de nombreux exemples de réussite.» C’est ainsi que l’architecte cantonal,Francesco Della Casa, qualifie les nouveaux quartiers genevois. Nous lui avons demandé, ainsi qu’à trois autres connaisseurs de nous livrer leurs coups de cœur.

En numéro un de son palmarès, Francesco Della Casa cite avec un enthousiasme certain l’immeuble du 7 rue Soubeyran, des coopératives Équilibre et Luciole, dans le quartier de la Servette: «Ses concepteurs ont réinventé l’habitat. On se trouve là face à une réalisation de qualité mondiale! Tout part pourtant de barres, rattrapées il est vrai par l’architecte Stéphane Fuchs.» Caractéristique des lieux: la construction d’immeubles à faible consommation d’énergie et sans rejet d’eaux usées, ainsi que le côté participatif qui aspire à favoriser les relations entre les habitants par l’insertion de zones d’échanges et de rencontres.


Francesco Della Casa devant l’immeuble du 7 rue Soubeyran, à la Servette

Trois îlots carrés à Vessy

Le choix numéro deux de ce spécialiste est situé sur le Plateau de Vessy. Œuvre de l’atelier Bonnet Architecte, il s’agit de trois îlots carrés, dédiés à des HBM, «ce qui démontre qu’on peut faire de la qualité avec des moyens modestes». Percé de chaque côté, ce quadrilatère donne aux petits bâtiments qui le composent une touche de luminosité bienvenue dans cet ancien champ. «Les immeubles ne paient pas de mine, mais ce n’est pas la cosmétique qui fait la qualité de cet ensemble, estime-t-il. Il suffit d’y entrer et on comprend mieux ce qui fonctionne.»

L’architecte cantonal finalise son podium avec l’immeuble d’habitation de la Coopérative du 55, rue Rigaud, à Chêne-Bougeries. Primé par le prix de la Distinction Romande d’Architecture à l’automne 2018, ce projet de la Codha - coopérative de l’habitat associatif - qui s’est associée au Bureau Bonhôte Zapata, s’illustre là encore par ses atouts en économies d’énergie et ses paliers ouverts sur l’extérieur qui encouragent les contacts, tout comme la terrasse commune.

Vieille demeure sauvegardée

Fraîchement retraitée, l’ancienne conservatrice cantonale, Sabine Nemec-Piguet, apprécie, elle, les Hauts de Malagnou, qui datent d’environ cinq ans. Pas tant pour leur architecture qu’elle qualifie de froide: trop de verre dépoli en façade, selon elle!

«La principale qualité de cette opération, signée Rodolphe Luscher, réside dans son concept urbanistique et son aménagement paysager, considère notre interlocutrice. L’ensemble a été bâti en 3e zone de développement dans un ancien grand domaine de plus de trois hectares. Et cet atout vert demeure grâce à la préservation d’une grande partie du parc et de ses arbres centenaires, ô combien précieux alors qu’on s’inquiète du réchauffement planétaire.» Sans oublier la Garance, ce petit ruisseau qui traverse les lieux et apporte aussi son lot de fraîcheur.

Sabine Nemec Piguet vante encore la disposition des bâtiments aux gabarits différents qui ont permis de sauvegarder une demeure de 1897, édifiée pour la famille Ferrier par l’architecte Émile Reverdin. Inscrite à l’inventaire, elle accueille à présent une ONG: «On développe tout en conservant des traces de l’histoire.» La mixité des immeubles, dotés de logements et de bureaux, séduit enfin la spécialiste. «On prévoyait aussi des commerces. Dommage que seule une pharmacie s’y soit pour l’heure installé.»

Autre exemple valorisé par Sabine Nemec-Piguet: un ensemble de logements collectifs, en zone de développement, auxquels s’ajoutent de petits immeubles en zone villas au lieu-dit de Pré-Babel, à Grange-Canal. «Là l’architecture est très intéressante, autant pour son implantation près de la Voie Verte que pour ses aménagements extérieurs. Une belle réussite de densification en zone villas, qui reste importante comme tampon de verdure, tant pour les personnes que pour la faune et la flore. Malheureusement, cet ensemble, délimité par une clôture, n’établit pas de continuité avec le tissu urbain.»


Sabine Nemec-Piguet apprécie les Hauts de Malagnou

Le périmètre du Musée d'ethnographie

«Un quartier qui a embelli ces dernières années? Tout le périmètre du Musée d’ethnographie, longtemps laissé à l’abandon», répond, pour sa part, sans une once d’hésitation l’avocat Mark Muller.

Cet ancien secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière, puis conseiller d’État responsable de l’aménagement cantonal (entre 2005 et 2012), motive son choix: «Tant la rénovation de l’ancien Musée que la construction du nouvel édifice participent à une vraie réussite architecturale. Ces deux bâtiments s’intègrent parfaitement dans ce site modernisé de Plainpalais, à côté de l’école et de son préau qui conservent, eux, une sympathique touche d’antan, revitalisée par la place de jeux qui offre un espace de respiration à tout cet ensemble remis au goût du jour.»

Situé de l’autre côté du boulevard Carl-Vogt, le nouveau centre de recherche sur l’environnement, réalisé par l’atelier d’architecture 3BM3 et partagé entre la RTS et l’Université, renforce cette dynamique contemporaine, estime Mark Muller.


Mark Muller cite en exemple le tout nouveau quartier de la Florence

La nouvelle Florence

Au niveau des immeubles d’habitation, le quinquagénaire évoque le tout nouveau quartier de la Florence, à proximité du Cycle d’orientation du même nom. Situés entre la route de Malagnou et celle de Florissant, deux artères qui mènent au centre de Genève à travers les quartiers plutôt cossus de la rive gauche, «ces récents immeubles sont entourés d’espaces publics, généreusement arborisés et fleuris. L’endroit dispose aussi d’espaces de jeux pour les enfants, ainsi que d’un café sympa qui apporte son lot d’animation. Rare dans les quartiers d’habitation en périphérie!»

L’ancien magistrat approuve encore la résidence pour étudiants de la Fondation Simón Patiño, sise avenue Louis-Aubert, sur le plateau de Champel. Le site se compose initialement d’un bâtiment réalisé dans les années 60, conçu pour accueillir des étudiants boliviens et les bureaux de ladite Fondation. «Un bel édifice du mouvement moderne, estime-t-il. Le nouveau bâtiment, conçu par l’architecte Fabrice Jucker, révèle l’architecture de l’ancien. Cette relecture de l’existant permet aux deux immeubles, séparés par une piscine, de se faire écho; les coursives répondent aux balcons en vis-à-vis.»

Écoquartier prometteur

Dernière spécialiste du jour à s’exprimer, l’urbaniste Sandra Robyr - ex-présidente de la Fédération suisse des urbanistes/section romande - a du mal à plébisciter un nouveau quartier: «C’est peut-être révélateur! Mais je n’ai pas la prétention de connaître tous les quartiers et plusieurs sont récents. En tant qu’urbaniste, j’estime qu’il est logique qu’un nouveau quartier ne fonctionne pas immédiatement et j’aime pouvoir le «vivre» avant de porter un jugement.»

Elle évoque ainsi «l’écoquartier de la Jonction qu’elle juge prometteur»: «Je le traverse régulièrement, en particulier l’immeuble réalisé par la Codha, que j’observe s’installer. L’architecture est certes un peu lourde et certains couloirs très sombres, mais la progression entre le côté rue et l’intérieur de l’îlot me plaît et je trouve les proportions à l’échelle du lieu. Il est appropriable et j’ai pu y apprécier ces derniers jours l’installation de plusieurs terrasses. L’immense entrepôt à vélos en vitrine m’a immédiatement frappée, un geste architectural pas anodin. Un peu marketing certes, mais fonctionnel et dans l’air du temps. Je n’ignore pas pour autant l’important parking en sous-sol.»

Sandra Robyr a visité des appartements «aux coursives partagées très généreuses. Elles offrent d’intéressantes propositions de vie. Tout comme les clusters, ces logements collectifs où l’on habite de petites cellules, tout en partageant des espaces communs. J’aime beaucoup ces propositions pour «vivre autrement». Comme je l’ai dit c’est un quartier en devenir, mais prometteur selon moi. La Codha y a d’ailleurs installé ses bureaux, c’est un signe, non?»


Sandra Robyr aime la rénovation de la rue Leschot, à Plainpalais

Rénovation douce à la rue Leschot

D’une manière globale, je trouve que «les nouveaux quartiers sont souvent trop monofonctionnels et «monoformels». Ils ressemblent à des expositions d’architecture inertes et peuvent créer de sacrées blessures dans le territoire. Quel nouveau challenge pour la nature en ville? Un comble! Une personne qui m’est chère vient de quitter son village pour s’installer à la Jonction, le long du Rhône, face aux falaises arborisées de Saint-Jean», rapporte celle qui siège également à la commission cantonale d’urbanisme.

Cela ne l’étonne pas: «J’ai travaillé à Plainpalais et je trouve ce quartier assez exemplaire. Un excellent interface entre la Vieille-Ville-Bastions, la plaine de Plainpalais et la Jonction. On peut s’y prélasser dans des endroits paisibles ou y vivre à fond.» C’est dans ce quartier que Sandra Robyr a donc choisi d’être photographiée et plus particulièrement à la rue Leschot, «dont la rénovation douce a su freiner la circulation et fait déborder les terrasses. Une belle réussite municipale. Même les énormes pots de fleurs, dont je ne suis pas fan en général, ont là un vrai sens. Ils aèrent l’urbain dans le prolongement de la plaine de Plainpalais.»

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