La densification
à marche forcée
sème le doute

Notre enquête montre que le marché du logement s’est détendu ces dernières années. Au point de remettre en question le rythme des constructions.

Les autorités l’ont martelé pendant des années: il faut construire davantage pour combattre «la pénurie de logements» qui sévit dans le canton. Au-delà des chiffres officiels, y a-t-il des spécificités genevoises qui font que ce phénomène se ressent plus ici qu’ailleurs? La densification est-elle l’unique solution? Non, répondent certains, qui mettent en avant un risque: celui de construire trop.

1. Que disent les chiffres officiels?

Deux indicateurs permettent de se faire une idée de l’état du marché immobilier: le taux de vacance et les nouvelles constructions. À cet égard, 2018 fut une année faste. Le seuil de 2500 logements neufs a été dépassé pour la première fois depuis 1996. «On construit presque deux fois plus que lors des vingt dernières années», résume Tamea Wolf, de l’Office cantonal de la statistique (Ocstat), qui explique: «De grands projets immobiliers sont enfin sortis de terre», comme l’écoquartier de la Jonction.

Le taux de vacance, lui, mesure la part des logements présents sur le marché, libres et pouvant être mis immédiatement à disposition – et ne devant pas faire l’objet de travaux. «Le problème avec ce taux, c’est qu’il donne le point de vue de l’offre mais ne livre aucune information du côté de la demande», nuance Paolo de Faveri, aussi de l’Ocstat. En 2018, il se montait à 0,53%. Il remonte lentement depuis les années 2000, où il avait atteint un plancher de 0,15%. «Pour que l’offre réponde à la demande, on devrait avoir un taux compris entre 1,5% et 2%, précise Paolo de Faveri. Mais la situation s’est améliorée.»

2. Comment expliquer la détente?

Tous les acteurs de l’immobilier en conviennent, le marché s’est «détendu» ces deux dernières années. Les loyers baissent et certains locataires se montrent désormais plus exigeants. «Si on ne revoit pas les prix ou ne faisons pas de travaux, certains appartements ne se louent plus», relate Cécile Dupré, directrice adjointe de Pilet & Renaud, ajoutant: «Ces dernières années, nous avons été habitués à louer sans avoir de période de vacance, or ce n’est plus toujours le cas.»

Bertrand Cavaleri, directeur du cabinet de conseil AMI International, attribue cette détente à plusieurs facteurs. D’une part, la demande est en repli. «L’afflux de multinationales, et donc de nouveaux expatriés, s’est tari, relève-t-il. Il y a aussi une baisse des effectifs des entreprises déjà implantées, y compris les organisations internationales, en raison du franc fort et du ralentissement économique.» L’autre explication est à chercher du côté de l’offre: l’arrivée sur le marché de nouveaux logements.

«Ces dernières années, nous avons été habitués à louer sans avoir
de période de vacance,
or ce n’est plus toujours
le cas.»

3. Quelles spécificités genevoises?

«Une des particularités genevoises consiste en un double marché avec des loyers très élevés et des logements sociaux plus abordables mais pas accessibles à tous», pointe Bertrand Cavaleri. Un constat partagé par Philippe Buzzi, directeur de gérance chez SPG: «On construit énormément de logements sociaux et, afin de financer ces projets, on fait aussi passablement de PPE», remarque-t-il. Ce qui a pour effet qu’une partie de la population, la classe moyenne inférieure, peine toujours à se loger.

Betrand Cavaleri observe un autre phénomène: «De nombreux appartements sont sous-occupés par des locataires, essentiellement des personnes âgées, pour qui un déménagement pour un logement plus petit coûterait plus cher compte tenu de l’évolution des loyers.»

4. Des alternatives à la densification?

Certains, à l’image de l’association Sauvegarde Genève, qui se bat contre la densification, estiment qu’il existe d’autres solutions. Les échanges de logements entre les jeunes et leurs aînés, justement. Selon l’Ocstat, le degré d’occupation est «faible» pour 36% des ménages.

Des régies procèdent d’elles-mêmes à des échanges d’appartements entre locataires. «Cela nous arrive de proposer des rocades», raconte Cécile Dupré, de Pilet & Renaud, qui assure ne jamais obliger les locataires. Il n’existe pas de législation en la matière, sauf pour les appartements subventionnés. «L’État peut résilier le bail en cas de sous-occupation», précise Rafaèle Gross-Barras, chargée de communication au Département du territoire (DT).

À Genève, beaucoup ne comprennent pas non plus qu’on n’exploite pas d’abord les appartements vides avant de construire. Le sujet nourrit les fantasmes. En 2014, un groupe Facebook invitait ses membres à signaler les logements vides qu’ils repéraient. Polémique, la démarche a porté ses fruits. Quarante-cinq appartements ont pu être remis sur le marché dans la foulée. «Aucune démarche similaire n’a été entreprise depuis lors», fait savoir le DT. Cette année-là, le nombre d’appartements vides recensés par l’Ocstat dans son enquête annuelle doublait. Sauf qu’en 2015, celle-ci est abandonnée, «en raison des difficultés toujours plus importantes rencontrées» sur le terrain.

5. Est-on en train de construire trop?

Difficile de savoir si l’on est en train de construire trop. Jusqu’ici, les promoteurs n’éprouvent aucune difficulté à trouver des locataires. Selon Paolo de Faveri, de l’Ocstat, il est «encore trop tôt» pour mesurer l’impact de ces nouvelles constructions sur le taux de vacance.

À la fin de 2018, plus de 6600 nouveaux logements étaient en cours de construction. «Après des années de stagnation, beaucoup de logements sortent de terre en même temps à peu près partout», relève Philippe Buzzi, de la SPG. Qui ajoute: «La question de savoir si on construit trop se pose.»

Le nombre de bureaux vides en hausse


Tout comme les appartements inoccupés, le nombre de bureaux laissés vides suscite l’incompréhension de ceux qui voudraient que ces locaux trouvent preneur avant qu’on en construise de nouveaux. Une enquête cantonale, publiée tous les trois ans, permet de faire le point sur la tendance. Elle est en hausse constante depuis 2011. L’an dernier, 900 locaux étaient vacants, selon l’Office cantonal de la statistique (Ocstat).

Dans le détail, il s’agit de 436 bureaux, 316 dépôts, 120 magasins ou arcades et 28 ateliers. Dans l’ensemble, c’est 78 espaces de plus que l’année précédente qui sont laissés vides. Cela représente une surface de 310 717 m2. Et selon certains analystes, les chiffres de l’Ocstat sont trop prudents. Une étude de Credit Suisse montre par exemple que Genève a enregistré une hausse de pas moins de 44% des bureaux vacants l’an dernier.

Il s’agit, en partie, de surfaces désuètes qui ne trouvent plus preneur. Certaines pourraient être transformées en logements. En 2015, les Genevois avaient voté en ce sens, en acceptant un assouplissement de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (LDTR). Le Conseil d’État a fait le point l’an dernier: seuls 30 logements supplémentaires ont pu être exploités à partir de surfaces commerciales vacantes.

Toutes ne se prêtent pas à une transformation en appartements, notamment en raison de contraintes liées à l’arrivée d’eau ou de l’électricité. Dans les milieux immobiliers, certains regrettent aussi que l’État n’ait pas suffisamment recours aux procédures accélérées, autorisées par la loi.

© Tamedia