Il ne va pas se cacher derrière la montagne. Il va se donner les moyens de la gravir. C’est ainsi qu’il fonctionne. Depuis qu’il a compris qu’il ne fallait pas compter sur les autres pour avancer. Pat Emond est au camp de base. Et devant lui se dresse son Everest. C’est un peu de cela dont il s’agit lorsqu’on prend la place laissée vacante par un entraîneur qui a marqué une génération et écrit, bon an, mal an, quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de Ge/Servette.

Chiper la place de Chris McSorley: Craig Woodcroft a essayé. Il s’est lamentablement échoué sur la grève des années Quennec. Pas vraiment aidé par Mike Gillis et sa clique, il s’est pris une grosse claque dans la figure. La main, anonyme, avait pourtant de drôles de similitudes avec les pognes du directeur sportif, un certain Chris McSorley. Tout n’a pas été fait pour que Craig Woodcroft s’installe durablement dans le fauteuil de coach des Vernets. À commencer par le principal intéressé, qui a réussi à faire l’unanimité contre lui.

Un peu l’exact contraire de ce qu’inspire Pat Emond. L’homme a le cœur grenat depuis plus d’une décennie. Il arpente les couloirs avec sa bonhomie. Avec son accent à couper au hachoir, il lâche volontiers un bon mot une fois que le boulot est terminé. Entraîneur à succès avec les juniors, Pat Emond émerveille déjà ses joueurs pros. «On croit toujours qu’il est plus simple de coacher des jeunes, dit-il. Mais c’est plutôt l’inverse. Sans comparer les problématiques, je peux vous assurer que c’est compliqué de gérer un groupe de juniors, et je l’ai plutôt bien fait, je crois. Je n’ai aucun doute sur ma capacité à en faire de même avec des professionnels.»

Sa méthode est simple: et elle tient en un mot. Le mérite. Lorsqu’il était junior lui-même au Canada, Pat Emond avait des mains de feu et du talent plein les patins. Son avenir était même tout tracé et devait forcément l’emmener tutoyer les étoiles de la NHL. Cela ne s’est jamais fait. Et si le nouvel entraîneur de Ge/Servette a laissé s’envoler son rêve de gosse, il ne rejette la faute sur personne d’autre que lui. «J’ai longtemps refusé de comprendre que chacun est le seul responsable de ce qu’il fait. Lorsque tu as du succès, c’est à toi que tu le dois. Et lorsque tu échoues, c’est aussi à toi que tu le dois. Mais ça, je l’ai compris trop tard. À mon époque, les entraîneurs ne discutaient pas vraiment. Le seul endroit où l’on pouvait s’exprimer, c’était sur la glace.»

Est-ce ce passé douloureux qui a forgé l’entraîneur qu’il est devenu? Sans doute un peu. «Mais c’est surtout que les temps ont changé et qu’il est inconcevable de ne pas dialoguer de nos jours. Vous savez, la porte de mon bureau n’est jamais fermée. Dans mes relations avec les joueurs, je suis le plus franc possible. Je parle avec la personne, je lui explique ce qui ne va pas, je lui propose des solutions pour que cela aille mieux. Ensuite, si le joueur réagit bien ou mal, ce n’est plus mon problème. J’estime qu’il a toutes les cartes en mains pour améliorer sa situation. Je crois que ce que détestent les joueurs, c’est l’absence d’explications et rester dans le flou.»

Nouvelle génération

Avec cette philosophie, Pat Emond a conquis deux titres de champion de Suisse avec les juniors Élite de Ge/Servette en 2018 et 2019. Et lorsque le club a décidé de demander à Chris McSorley de se contenter de son poste de directeur sportif, le Québécois n’a pas hésité à déposer son dossier de candidature sur le bureau du président, Laurent Strawson. L’idée de miser sur quelqu’un qui connaît la maison et qui sait parfaitement mettre en valeur les fruits qui ont mûri dans l’académie du GSHC a presque logiquement mené à la désignation de Pat Emond.

Rien de bling-bling, regretteront les éternels aficionados de Chris McSorley. Et pourtant. Avec Pat Emond, le projet de jeu est largement plus excitant. La réussite sera-t-elle au rendez-vous? Le principal intéressé en est persuadé. «On nous place sous la barre et c’est presque bien comme ça, sourit-il. J’ai la conviction que nous serons la bonne surprise de la saison. Notre jeunesse ne sera pas uniquement un handicap. J’ai aussi dans le vestiaire un bon groupe de vétérans qui va aider nos jeunes talents à progresser. Si tout le monde reste en santé, on peut atteindre les play-off.»

Le véritable mandat qui a été fixé par la nouvelle équipe dirigeante est essentiellement axé sur la progression d’une génération qui a été préparée notamment par Pat Emond. «Il y a dans ce groupe une dizaine de joueurs que j’ai déjà dirigés. Je sais comment ils fonctionnent et eux aussi. Ge/Servette se trouve au début d’une nouvelle ère et possède un gros potentiel. Ce sera parfois dur. Il faudra sans doute accepter de faire des erreurs pour ne plus en commettre, justement.»

On ne changera pas d’un coup de baguette magique ni d’un coup de sifflet une philosophie de jeu qui a surtout valu par ses résultats que par la qualité du spectacle proposé. Et si Pat Emond parvenait à allier jeu plaisant, émotion et résultats probants? Il le faisait chez les juniors et comme il le dit si bien: «Il faut bien commencer un jour.»

Même si le sommet de l’Everest est encore loin, il est temps de se mettre en route. Et le Canadien peut compter sur une ribambelle de sherpas qui affichent un sourire éclatant en regardant la montagne droit dans les yeux.

Grégoire Surdez