Les rimes s'apostrophent et les vers philosophent

Le papa de Jérémie explique à ce dernier comment comprendre les grands auteurs et lui donne quelques conseils pour écrire ses propres vers.

Tous les soirs, papa me lit des histoires. Celles que je préfère, ce sont les Fables de La Fontaine. Oui, papa aime me montrer que la littérature regorge d’écrivains, notamment de poètes qui, par leurs mots, ont changé les esprits, donc notre quotidien. Et puis, surtout, la poésie, je trouve ça beau, comme une chanson! Du coup, pour en savoir plus, j’ai posé les questions suivantes à mon papa: quelle est la différence entre un poème et un simple texte? Y a-t-il des règles importantes à savoir pour comprendre la poésie? Et si j’avais envie d’écrire un poème, comment pourrais-je m’y prendre?

«Mon cher Jérémie, tout d’abord, ce qui fait que l’on parle de poésie, et non de prose, de texte ou de toute autre forme d’expression écrite, c’est le soin apporté par l’auteur à entrelacer fond et forme, message dans l’œil du lecteur et musique à son oreille. Ensuite, le poète écrit le rythme, suggère la pensée en cherchant à créer une atmosphère dans laquelle flotte le lecteur. La poésie a souvent servi à faire passer des messages de révolte, des constats cruels tout comme la description d’injustices, mais en dissimulant le propos, en l’habillant de figures de style ou d’analogies permettant de rendre moins abrupt le message sous-jacent. Enfin, prenons garde pourtant de ne pas réduire la poésie à sa forme dénonciatrice; vecteur d’expression de la beauté du monde ou encore prononcée pour son rythme et sa musicalité, elle sert aussi à sublimer le langage de l’Amour dans ce qu’il a de plus subtil, courtois et même libertin.»

Les règles

Aaah!??! Mais c’est quoi «libertin», papa? Et puis là, je veux pas dire, mais on dirait pépé qui explique les maths! Tu compliques pas un peu, non? «Sois un peu patient Jérémie, écoute! La poésie revêt maintes formes. Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur la plus classique. Tout d’abord, un poème est rythmé de vers (une ligne dans le poème) qui riment les uns avec les autres. Ces vers ont ce que l’on appelle une métrique, c’est-à-dire qu’ils sont généralement composés du même nombre de syllabes (autrement appelées pieds) dans l’ensemble du poème. Le vers par excellence se nomme l’alexandrin classique, composé de douze pieds et scindé en deux hémistiches à la césure (soit à la moitié du vers). Les métriques les plus rencontrées sont les octosyllabes, les décasyllabes et les dodécasyllabes, possédant respectivement des vers de 8, 10 et 12 pieds.»

OK. Y a des mots pas clairs, mais je crois que je comprends, en gros quand on écrit un poème, il faut avoir des vers qui ont des pieds, pas courant déjà! Et il faut que ça rime. C’est plus simple dit comme ça, non? «Oui, Jérémie, mais justement, concernant les rimes, il en existe plusieurs types, les plus fréquentes étant les rimes plates, croisées et embrassées. Plates, c’est-à-dire que les vers riment à la suite par groupes de deux (AABB); croisées, ils riment alternativement (ABAB); embrassées, une rime est encadrée par deux autres (ABBA). On parle de rimes pauvres lorsque le seul phonème rimant est la voyelle tonique finale (peau, seau), suffisantes lorsque deux phonèmes sont répétés (yeux, soyeux) et riches lorsque trois phonèmes ou plus se répètent (attentivement, intuitivement). Il faut aussi respecter une alternance de rimes masculines et féminines.»



«Les figures de style? Je connais. Mémé dit toujours à pépé que c'est une tête de litote»"

Jérémie

Le style

Bon, c’est un peu du chinois tes faux nems. Mais s’il est suffisant qu’ils s’embrassent, on devrait en croiser un ou deux au concert d’ABBA! Mais non, je blague papa. Bon, et maintenant alors? Je te vois venir, tu vas me parler des figures de style, hein!?

«Effectivement, une fois la forme technique posée, le poète cherche à exprimer un sentiment, une émotion, tantôt avec pudeur, tantôt avec délicatesse ou volupté, tantôt en cherchant à cacher ses intentions dans les méandres des mots, tantôt pour choquer ou marquer le lecteur. Pour cela, il va utiliser des figures de style comme la métaphore, l’allégorie, la métonymie, la personnification, la périphrase, l’oxymore, l’hyperbole, la comparaison, l’ellipse, l’euphémisme ou encore la litote.»

Ah oui! Ça, je connais, mémé dit toujours à pépé que c’est une tête de litote! Mais là moi, si tu m’expliques ce que veulent dire tous ces mots, je ne vais rien retenir, est-ce qu’il faut vraiment savoir tout ça pour composer un poème? «Non, bien sûr, la poésie, comme l’art, est l’expression d’un élan de liberté, capable de se délester de toute règle. Elle peut s’écrire sans rimes ni vers réguliers. Tu sais, on utilise d’ailleurs souvent sans s’en rendre compte des figures de style. Et on peut apprécier la poésie sans tout en connaître. Par contre, si l’on veut analyser les grands auteurs, il est nécessaire de maîtriser les codes, car les poètes utilisent sans cesse ces outils pour structurer leurs vers. On peut comparer cela à la musique: chacun peut s’en sortir sans le solfège, mais pour jouer et interpréter Mozart, alors la maîtrise technique et théorique demeure indispensable.»

D’accord, donc si je résume, pour écrire un beau poème, il faut savoir mélanger figures de style, musicalité et rythme. Merci pour tes explications, papa, j’avoue que j’ai quand même de l’hyperbol que tu sois là!


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