«Le visiteur risque d'être secoué»

Commissaire de l'exposition et directeur du MEG, Boris Wastiau évoque la naissance d'«Afrique».

Du jaillissement de l’idée primordiale au baptême final, le grand prêtre, c’est lui. Boris Wastiau officie sur «Afrique. Les religions de l’extase» en tant que commissaire scientifique. «J’ai plein d’expositions dans la tête, tout le temps!» s’exclame le directeur du MEG lorsqu’on lui demande comment naît en lui un projet. «Les idées sont là, mais elles attendent souvent plusieurs années avant d’arriver à maturité.»

En prenant la direction de l’institution culturelle genevoise, il s’est engagé à programmer une exposition monographique par an et à la consacrer à chacun des continents, selon un tournus. Cette année l’Afrique, l’an prochain l’Europe, et le tour sera joué. On aura bouclé un cycle commencé à l’ouverture du nouveau MEG, en 2014. Même si elles portent sur des thèmes variés, les présentations, sous sa houlette, suivent un fil conducteur: la religion.

Trois ans en Zambie

Été 2016, Boris Wastiau remonte ses manches et grimpe sur une échelle. «Je commence toujours par l’exploration de nos collections. Pour «Afrique», j’ai passé une bonne semaine dans nos dépôts des Ports Francs (ndlr: dès cet été, le MEG déménagera ses collections dans des réserves situées sous Artamis, appelées le Carré Vert). J’ai ouvert chaque tiroir, chaque boîte de chaque étagère et pris en main tous les objets qui m’intéressaient.»

L’Afrique, Boris connaît. Il a vécu trois ans en Zambie pour y travailler à sa thèse de doctorat. Statuettes, masques et fétiches, c’est la famille. «Il fallait pourtant que je voie ce que nos réserves avaient encore dans les tripes… Nos joyaux sont exposés dans notre collection permanente. Comme je ne voulais pas la dépouiller, je devais trouver autre chose.»

Boris Wastiau, directeur du MEG, présente les points forts de l'exposition.

Dans les dépôts, les objets deviennent bavards. Ils racontent au commissaire une histoire qui prend forme. «Il y avait là des groupes de pièces liées au vaudou béninois, d’autres à un culte de possession du sud-ouest de l’Afrique centrale, des collections de divination et de protection malgaches. Tout cela me permettait de parler de quoi? Des religions africaines, de leur formidable diversité, de l’ardeur et de la richesse des pratiques. Lorsque j’enseigne à l’Université, je suis frappé par la méconnaissance totale de mes étudiants à ce propos. Au MEG, on ne fait certes pas une exposition pour plaire. En revanche, il faut qu’elle soit pertinente pour le plus grand nombre. Cela me semble évident ici.»

L’ethnologue descendra de son échelle avec un millier de pièces dans les bras. Un an plus tard, la sélection affinée en retiendra 323, dont la liste sera illico transmise à Philippe Mathez, le responsable des expositions du MEG (lire le chapitre 3).

Un synopsis prend forme


Dans le courant de l’automne 2016, un synopsis prend forme dans l’esprit de Boris Wastiau. Il sait maintenant précisément ce qu’il veut raconter, mais pas encore comment.

«J’avais un problème. Nos objets sont anciens, de plus en plus anciens car nous faisons très peu d’acquisitions. Or l’Afrique bouillonne, il s’y passe des choses tout le temps! Imaginez-vous qu’il y a eu récemment plusieurs procès pour sorcellerie en Centrafrique, conduits par des magistrats officiels. Clairement, notre collection ne va pas bien loin pour illustrer un regard contemporain sur les pratiques religieuses.»

«Nos objets sont anciens. Or l’Afrique bouillonne, il s’y passe des choses tout le temps!»

Pour contourner l’obstacle, l’ethnologue choisit deux chemins de traverse. Le premier le conduit en Zambie, en mars 2017, pour trois semaines d’interviews et de tournage de vidéos avec le photographe du MEG, Johnathan Watts. Puis dix jours au Bénin, en décembre de la même année. Le matériel récolté fleure bon l’actualité.

Le regard des artistes


L’autre sente buissonnière le mène aux artistes. «J’ai décidé de faire de l’exposition avant tout un parcours de photos et de vidéos. Du coup, les objets des collections sont là à titre illustratif et marquent un décalage.»

Ont donc été invités à intervenir dans l’exposition le vidéaste d’origine éthiopienne Theo Eshetu, l’un des rares artistes africains à travailler sur les religions, ainsi que les photographes genevois Christian Lutz et Jean-Pierre Grandjean.

Boris Wastiau: «Il est important de multiplier les perspectives et de varier les points de vue. De casser le monopole du discours. J’aime donner de la place aux artistes contemporains au MEG car ce sont des médiateurs qui interprètent la thématique autrement.»

«Ce n'est pas une expo toute gentille»


L’heure du baptême approche. «Afrique. Les religions de l’extase» doit être montrée pour la première fois aux invités d’un vernissage privé mercredi 16 mai, puis ouvre ses portes au public le vendredi 18.

Verdict de son concepteur? «Ce n’est pas une expo toute gentille, où l’on arrondit les angles. Plus le visiteur aura des convictions religieuses fortes, plus il risque d’être secoué. Mais ce que l’on montre, c’est indéniablement la réalité.»

© Tamedia