L'Afrique envoûte le Musée d'ethno

Textes: Pascale Zimmermann
Photos: Georges Cabrera et Laurent Guiraud
Vidéos: Georges Cabrera

Le Musée d'ethnographie explore les mille facettes de la spiritualité africaine dans sa nouvelle exposition. Nous avons suivi les étapes de ce montage hors du commun.

Comment s’élabore un événement destiné à durer huit mois et auquel participent 200 000 personnes? Pour le savoir, nous avons suivi pas à pas, de l’idée au vernissage, chaque étape de la construction de la nouvelle exposition du Musée d’ethnographie de Genève (MEG), «Afrique. Les religions de l’extase», visible dès le 18 mai.

À la regarder ainsi toute pimpante, on ne se doute pas qu’il a fallu deux ans pour la concevoir, une année pour la bâtir, cinq mois pour la monter à la sueur d’une cinquantaine de personnes et 800 000 francs pour la financer. La porte franchie aujourd’hui, que voit-on?

Paupières closes sur leur recueillement, deux femmes accueillent le visiteur, l’une en noir, l’autre en blanc, l’une portant la Bible, l’autre le Coran. De sa main libre, celle qui a revêtu la burka sombre dessine le nom d’Allah mais cite la parole du Christ; celle qui endosse la robe immaculée d’une nonne esquisse une bénédiction chrétienne tout en se référant à Mahomet. En regardant de plus près «Holy One» et «Holy Two», ces deux immenses clichés signés Fabrice Montero, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une même femme, une Africaine, par laquelle le photographe brouille les codes.

L’extase comme fil rouge

Il en va ainsi de toute l’exposition «Afrique»: ce que l’on croyait su doit être réappris, ce que l’on pensait certain demande à être questionné. Par leur nombre, leur diversité et leur exubérance, les religions africaines contemporaines sont une gageure pour un esprit cartésien.

Boris Wastiau, commissaire scientifique de l’accrochage et directeur du MEG (lire le chapitre sur la genèse du projet), a choisi l’extase mystique comme fil rouge. Chaque croyant cherche en effet dans sa pratique religieuse une communion fervente avec Dieu, les dieux ou les esprits.

Au sous-sol du MEG, le visiteur est invité à déambuler en cédant aux sollicitations visuelles et sonores dispensées par 323 objets, 200 photographies et pléthore d’enregistrements vidéo. Le parcours, structuré en quatre sections, s’ouvre sur les monothéismes: christianisme, judaïsme et islam. Les trois religions abrahamiques sont présentes un peu partout en Afrique, dès les premiers temps de leur existence.

Le zâr de possession

La deuxième section, marquée par un immense rocher, parle de divination, de culte des ancêtres et de rituels liés à la mort. Il s’agit pour les hommes de cerner l’invisible par la transe extralucide, les oracles et les sacrifices. La transe de possession, elle, est proposée comme une expérience intime dans la troisième partie de l’exposition.

Une vaste salle noire, habitée seulement par un banc lisse et rond, accueille le visiteur prêt au jeu. Sur un immense écran, un montage visuel de l’artiste d’origine éthiopienne Theo Eshetu sature l’espace d’images tournées au Caire. Elles montrent le zâr de possession, un rituel baigné de chants et de battements de tambours aux effets hypnotiques. «C’est la première fois au MEG que nous devons mettre en garde notre public, relève Boris Wastiau. Certaines personnes pourraient réellement tomber en transe…»

Après avoir repris leurs sens et s’être familiarisés avec le vaudou haïtien et béninois – religion aux millions d’adeptes – les visiteurs abordent la quatrième section, consacrée au monde foisonnant des esprits. Il y est question de masques, de totems à clous, de divinités de la terre, de l’eau et des bois sacrés, ainsi que du culte des époux spirituels et des esprits jumeaux.

Une projection vidéo sur le sol exerce une indéniable fascination: les sœurs jumelles caraïbes Lisa-Kaindé et Naomi Diaz, formant le groupe Ibeyi, chantent sous la surface de l’eau la spiritualité africaine dans leur magnifique incantation, «River».

En guise d’épilogue, l’effet «Phi» accompagne le public vers la sortie, lui faisant croire qu’il regarde des images en mouvement alors qu’il n’en est rien. Une incitation subtile à s’interroger sur notre perception illusoire du visible.

© Tamedia