DU CEVA AU LÉMAN EXPRESS: HISTOIRE D'UNE MOBILISATION

Guy Mettan, ancien président de l'association ALP-Rail, revient sur près de deux décennies de rebondissements

Relier les rives droite et gauche du lac a toujours été un casse-tête pour les Genevois. On en parle depuis que Jules César a voulu empêcher le passage des Helvètes en 58 avant Jésus-Christ. Heureusement, on a fait quelques progrès depuis. Non sans mal… L’histoire moderne du projet commence en 1912 avec la signature d’une première convention avec les CFF. Après cent sept ans, on entrevoit le bout du tunnel. Ouf!

Tout commence par deux échecs: en 1996, le projet de traversée routière de la rade du conseiller d’État Philippe Joye est balayé par le peuple et, en 1998, le projet de métro léger voté par le Grand Conseil en 1992 mord également la poussière. À la veille du IIIe millénaire, Genève se retrouve le bec dans l’eau, si l’on ose dire…

Négociations avec Berne
Mais les partisans de la mobilité ne s’avouent pas vaincus. Dès 2000, le Grand Conseil prend l’initiative et vote deux crédits d’études de 6 puis de 30 millions de francs pour forcer le Conseil d’État à aller de l’avant. En 2001, sous l’impulsion des conseillers d’État Laurent Moutinot et Robert Cramer, les négociations sont rouvertes avec Berne et aboutissent rapidement à un accord et au dépôt d’un projet de loi (PL 8719) ouvrant un crédit de 400 millions de francs pour le financement de la part cantonale du CEVA. Le Grand Conseil l’adopte le 28 juin 2002. Le projet est alors mis à l’étude, mais il s’avère que les sommes votées sont insuffisantes et que le Canton doit rallonger sa quote-part.

Septembre 2005: Premier «coup de pioche» du projet CEVA en presence de nombreuses personnalites franco-genevoises. Ici les officiels s'équipent pour penetrer sur le chantier. De gauche à droite: les Conseillers d'Etat genevois Robert Cramer et Carlo Lamprecht, le président de la region Rhone-Alpes Jean-Jack Queyranne et le president des CFF Benedikt Weibel. (ERIC ALDAG).

Les opposants à la liaison ferroviaire, des habitants du quartier de Champel principalement, relèvent la tête. En 2007, ils lancent une initiative et récoltent 16 600 signatures «Pour une meilleure mobilité franco-genevoise» qui rejette le RER et propose un tram. Après un long trajet parlementaire, l’initiative sera invalidée en dernier recours par le Tribunal fédéral en 2011. Au printemps 2009, le conseiller d’État Mark Muller dépose un nouveau projet de loi (PL 10 444) ouvrant un crédit complémentaire de 113 millions de francs. La loi est votée en juin, mais elle suscite immédiatement un référendum, qui aboutit en septembre.

Une campagne intense
Le Conseil d’État fixe la votation le 29 novembre et pendant tout l’automne, une campagne acharnée va se dérouler entre partisans et opposants au CEVA. Dans le camp des pro-CEVA, on trouve les élus de la majorité des partis, PLR, PDC, UDC, Verts, socialistes, députés, maires de communes, représentants d’associations, soit une centaine de personnes regroupées dans un comité unitaire Pro-RER Genève-Région, coprésidé par Gabriel Barrillier et Élisabeth Chatelain et soutenu par l’association ALP-Rail, pilotée par le soussigné et par Sigurd Maxwell, pionnier historique du projet de RER depuis 1993.

Les «gilets jaunes» genevois pendant la campagne CEVA de 2009. On peut reconnaître (de gauche à droite) Anne Mahrer, Élisabeth Chatelain, Gabriel Barrillier, Guy Mettan, Christian Dupessey, Liliane Maury Pasquier, Maria Roth-Bernasconi et Sigurd Maxwell (à l’arrière-plan). LDD

En face, l’opposition est emmenée par les opposants historiques du plateau de Champel. Ils sont soutenus par le MCG. Ils craignent pour la sécurité des travaux, les trépidations et bruits solidiens, l’afflux de frontaliers, la sécurité des gares et le respect des crédits votés.

La bataille est homérique. Les slogans fusent de tous côtés, alignant les jeux de mots du genre «Là où le CEVA passe, les bouchons trépassent», qui font écho aux «CEVA pas la tête!» Le samedi, les «gilets jaunes» genevois descendent dans les rues et occupent les trams de Carouge à Moillesulaz pour défendre le rail. Finalement, l’après-midi du 29 novembre 2009, le verdict tombe, sans appel: 61,2% des Genevois acceptent la rallonge tant disputée. En 2011, les derniers recours sont levés par le Tribunal administratif fédéral et les premiers travaux peuvent démarrer en novembre.

Premiers coups de pelleteuse pour le départ du Tunnel de Champel à l'avenue Théodore Weber, dans le quartier de Villereuse, en 2012. PIERRE ABENSUR.

Une dernière escarmouche survient le 18 mai 2014 avec le succès d’un référendum du MCG contre la participation cantonale au financement de parkings relais en France voisine. Le chantier du CEVA n’est pas menacé, mais l’épisode freine l’élan de coopération politique qui s’était mis en place entre Genevois, Vaudois et Français dans les années 2000.

Rapprochement franco-suisse
Car cette mobilisation pour le CEVA a aussi eu pour effet de rapprocher les deux univers politiques par-dessus la frontière. Des deux côtés, on a multiplié les initiatives et les rencontres: discussions autour des projets d’agglo, tenues d’assises transfrontalières des élus, réactivation du comité régional franco-genevois, mise en place d’un GLCT et d’un Forum d’agglomération, rencontres informelles de la société civile.

Dix ans de luttes, dix ans de travaux, le CEVA est désormais entré dans l’histoire genevoise. Place désormais au Léman Express qui devrait transformer la vie quotidienne des «Grands Genevois». Pour le meilleur, c’est sûr!
Guy Mettan

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