Natacha Rossel



Le drapeau américain qui flotte dans un environnement dépourvu d’atmosphère. Le module qui alunit sans former de cratère. Et pas une seule étoile à l’horizon sur les photographies… Vous avez dit bizarre? La conquête de la Lune ne serait-elle pas une histoire fabriquée de toutes pièces par les Américains pour faire la nique aux Russes sur fond de guerre froide? Aujourd’hui encore, le fameux moon hoax, théorie du complot mettant en cause la véracité des premiers pas de l’homme sur la Lune, convainc 9% des personnes sondées par l’Institut français d’opinion publique (Ifop).

Kubrick derrière la caméra

Protéiformes, les arguments appuyant les dires des conspirationnistes sont tout à la fois de nature technologique, astrophysique, iconographique et géopolitique. C’est là le cœur de tout bon hoax, comme le relève le sociologue Laurent Cordonier, chercheur à l’UNIL et à l’Université Paris-Diderot. «Les théories du complot ne reposent pas sur une démarche scientifique, mais sur un cumul d’arguments hétérogènes, les uns pouvant contredire les autres sans que cela ne pose problème. C’est ce que mon collègue Gérald Bronner nomme un «mille-feuille argumentatif». Prises séparément, ces prétendues preuves sont faibles. Une fois superposées, elles produisent un effet de masse. Des gens se disent alors que tout ne peut pas être faux là­dedans.»

En l’occurrence, le chapelet de signes d’un complot lunaire concorderait à prouver que les images de la mission Apollo 11 auraient été tournées en studio sur notre bonne vieille Terre. Certains conspirationnistes affirmant même que Stanley Kubrick himself, dont le film «2001, l’Odyssée de l’espace» (image d'un extrait du film ci-dessous) est sorti en 1968, aurait été embauché par la NASA pour tourner ces images bidonnées.


Image: AFP

Les prémices du moon hoax remontent à l’événement lui-même, en ce mois de juillet 1969. D’aucuns refusent de croire ce qu’ils voient sur leur petit écran. «Il s’agit de personnes peu éduquées et méfiantes à l’égard des discours officiels, souligne Laurent Cordonier. Mais le phénomène reste confiné.» Le contexte politique de la première moitié des années 1970 change radicalement la donne. Les Américains commencent alors à perdre confiance dans leur gouvernement. La raison? «Les États-Unis s’enlisent dans la guerre du Vietnam, qui avait été vendue comme une opération facile et rapide. La population se rend compte que le gouvernement a caché les difficultés du terrain et un certain nombre d’événements.»

Le scandale du Watergate, en 1974, en rajoute une couche. C’est dans ce contexte singulier qu’apparaît un certain Bill Kaysing, surnommé le «père de la théorie du complot lunaire».

Un livre choc avant internet

Cet Américain, ni ingénieur ni scientifique, déroule ses tentacules conspirationnistes dans un livre choc, «Nous ne sommes jamais allés sur la Lune: l’escroquerie américaine à 30 milliards de dollars», paru en 1976. «L’ouvrage a été publié à compte d’auteur, ce qui n’est pas anodin, observe le sociologue. Il ne connaît un certain succès que dans des sphères restreintes de la population.»



Au début des années 2000, l’essor d’Internet donne un nouveau souffle au moon hoax – et favorise le développement des théories du complot en général (lire encadré). Dans la foulée, le documentaire complotiste «Théorie de la conspiration: avons-nous été sur la Lune?» diffusé sur Fox TV en 2001, alimente lui aussi la théorie.

Bien que chacun de ses arguments ait été réfuté, le moon hoax reste vivant, mais de moindre ampleur que d’autres théories du complot. Il touche la tranche des 25-50 ans. Les plus de 50 ans ont vécu l’événement et seraient donc moins enclins à croire à la conspiration. Mais pourquoi les 18-25 ans, pourtant friands de hoax, n’y adhèrent que peu? «Il est sans doute devenu un peu suranné.»