Rhône, la grande évasion

Le Rhône, ce fleuve à découvrir et à maîtriser

Au-delà de la Jonction, zone prisée des baigneurs, le Rhône se faufile dans un paysage sauvage, qui attire les aventuriers sur embarcations. Une expérience à vivre, à condition de suivre des règles élémentaires de prudence.

Textes: Cathy Macherel
Photos: Magali Girardin



En ces derniers jours d’été, nombreux sont encore les Genevois qui profitent des plaisirs aquatiques. Certes, au bord du Rhône, les bronzettes sur pontons se font plus rares, tout comme les baigneurs et leurs drôles de baluchons colorés. Mais nombreux sont ceux qui s’embarquent encore, sans trop se mouiller, pour une aventure plus longue, au-delà de la Jonction.

Divans gonflables, cortège de flamants roses et autres licornes en plastique, et même une baignoire sur coussinets gonflés (!), on a vu défiler de tout sur le Rhône cet été. Et pas forcément pour le meilleur. En témoigne le dramatique accident du week-end dernier, lorsqu’une cordée constituée d’un paddle et de structures gonflables s’est enroulée à un pilier du pont Butin (lire nos éditions de lundi 2 septembre). Une femme, projetée à l’eau, restée coincée sous son embarcation à cause du courant, a été grièvement blessée.

Règles méconnues

On peut s’embarquer sur le Rhône, une expédition qui stimule l’imaginaire (lire notre parcours kilométré), mais l’aventure requiert d’élémentaires exigences de sécurité. Le plus sûr si l’on n’est guère habitué à naviguer? Des sociétés de rafting, comme Rafting.ch et Rafting-loisirs.ch, organisent des sorties avec possibilité d’encadrement. Mais on le sait, le Rhône est devenu un terrain de loisirs où l’on pratique facilement en solo. «Le Rhône n’est, en soi, pas une rivière dangereuse. Mais il peut y avoir de sérieux pièges en cas de comportements imprudents. Ceux qui se lancent doivent au moins savoir nager – une évidence, pourtant pas toujours respectée –, porter un gilet de sauvetage, et bien entendu ne pas consommer d’alcool ou autres substances psychotropes», souligne Gérald Beddiar, gérant de Rafting.ch.

Jean-Pierre Golay, responsable de Rafting-loisirs.ch, donne les mêmes conseils et relève que les gens qui embarquent sur des bouées ne connaissent pas toujours les règles de navigation. «On navigue à droite, on croise à droite. Or sous le pont Butin, par exemple, les bouées passent souvent à gauche, c’est dangereux car vous pouvez très bien vous retrouver nez à nez avec un bateau.» Difficile de lutter contre la mode des bouées, mais mieux vaudrait partir avec une embarcation digne de ce nom et au moins des pagaies ou des rames pour se diriger.

Mal connus également, les pièges que constituent les grosses branches et les piliers des ponts. C’est le constat que fait Nathalie Besson, appointée à la Brigade de la navigation de la police genevoise. «Il y a quantité de branches sous l’eau, invisibles. Un impact, et une bouée éclate. Les piliers des ponts constituent un autre gros danger en cas de fort courant. Si on arrive sur le pilier de travers, l’embarcation se retourne.»

Tout comme les deux experts en rafting, elle relève qu’il faut absolument éviter de s’encorder en rivière. Qu’il s’agisse d’encorder les embarcations les unes aux autres ou d’encorder son corps à l’embarcation. «Si vous vous retrouvez coincé à un pilier ou une branche et qu’il y a du courant, et que vous n’êtes pas libre de vos mouvements, vous êtes à coup sûr tiré vers le fond», souligne Nathalie Besson. «En rivière, en paddle, on ne s’attache pas le pied, c’est la règle. Sur nos planches, nous avons d’ailleurs enlevé tous les leashes (ndlr: harnais au pied)», ajoute Gérald Beddiar.

Le débit du Rhône, qui a un impact jusqu’au pont Butin, est aussi un facteur à connaître avant de se lancer à l’eau. Deux sites donnent cette mesure: hydrodaten.admin.ch et vhg.ch. À moins de bien maîtriser son sport, on ne s’embarque pas si les débits sont trop élevés, lorsque les SIG ouvrent grandes les vannes aux Halles de l’île, ce qui fait facilement augmenter le débit à plus 500 m3/s. «Jusqu’à 300 m3/s, le débit est acceptable pour se mettre à l’eau, ou disons que le risque de problème est considérablement réduit», note Nathalie Besson.

Globalement, souligne-t-elle, les accidents sur le Rhône sont heureusement en diminution, «même si nous devons intervenir souvent avec la démocratisation de l’accès au Rhône. Pour améliorer encore la prévention, il serait sans doute très utile que celle-ci cible, outre les baigneurs, les utilisateurs de bouées au quai du Seujet.»

Le b.-a.-ba d'une descente sûre

Prérequis
• Savoir bien nager
Le matériel recommandé
• Kayak, paddle (sans mettre le leash) ou canot de qualité
• Gilet de sauvetage
• Rames/pagaies
• Téléphone
Conditions de navigation
• Ne pas s’engager en cas de fort débit • Ne jamais s’encorder • Naviguer à droite et passer loin des piliers des ponts
• Repérer et éviter les branches
Comportement
• Pas d’alcool, pas de drogue
• Envie de baignade soudaine? Gare au risque d’hydrocution
Un sérieux problème?
• N’hésitez pas à composer le 117 ou le 118. Les interventions sont gratuites
• Savoir bien nager
Le matériel recommandé
• Kayak, paddle (sans mettre le leash) ou canot de qualité
• Gilet de sauvetage
• Rames/pagaies
• Téléphone
Conditions de navigation
• Ne pas s’engager en cas de fort débit • Ne jamais s’encorder • Naviguer à droite et passer loin des piliers des ponts
• Repérer et éviter les branches
Comportement
• Pas d’alcool, pas de drogue
• Envie de baignade soudaine? Gare au risque d’hydrocution
Un sérieux problème?
• N’hésitez pas à composer le 117 ou le 118. Les interventions sont gratuites

L'aventure grandeur nature

Du Seujet à Peney, 11,5 km au fil de l'eau. Sur chaque tronçon, des ambiances différentes. Suivez le guide.

Km 0: Embarquement
Sur le Rhône, c’est au quai du Seujet que les habitués des descentes sans accompagnants préparent en général leur embarcation. On pompe dur, puis on se met à l’eau par la rampe juste avant le pont de Sous-Terre. Plus haut, de toute façon, la navigation est interdite. Ce premier tronçon, jusqu’à la pointe de la Jonction, se donne des airs de balade tropicale sur des eaux bleu turquoise.
Autre option de départ: les entreprises Rafting-loisirs.ch et Rafting.ch organisent des sorties en kayak ou en paddle, accompagnées ou non et de longueurs diverses. Fort conseillé si vous n’avez pas un matériel digne de ce nom. Les départs sur le Rhône de Rafting-loisirs.ch se font à la pointe de la Jonction, ceux de Rafting.ch sur l’Arve, à la hauteur du pont d’Arve.





Km 0,5: Tropiques sur Rhône
Si vous partez du Seujet, arrêtez-vous rapidement pour profiter d’un bain en eaux turquoise (si la température le permet), avant que l’Arve ne vienne rendre opaque et surtout refroidir le fleuve. Les meilleurs spots? Ils sont bien connus et on n’apprendra évidemment rien aux habitués du premier ponton sur la rive droite. Ni à ceux du Bar de la Pointe de la Jonction. Ambiance «peace and love», même si au niveau des sonos, soul, reggae et hip-hop peuvent se livrer une joyeuse bataille. Attention, le bar ferme le 15 septembre. Moins fréquenté, sur la rive droite et un peu en amont, la bande de béton qui s’avance depuis le sentier des Falaises fait office de débarcadère idéal pour stopper son embarcation et profiter d’un spot de baignade quasi sans courant.





Km1,2: Moi Tarzan, toi Jane
Une fois passée la pointe de la Jonction, voilà les deux rivières mêlant leurs eaux bleues et verdâtres, image bien connue sous sa forme aérienne, lorsque la vue est prise depuis le viaduc du chemin de fer (et passerelle piétonne qui mène à la Bâtie), construit entre 1942 et 1946. Restez à droite, côté Rhône bleu et son eau plus chaude. Car sur la rive droite, sous la Campagne-Masset, de très beaux arbres aux branches tortueuses et de petites plages succédant à une roselière donnent des allures exotiques au paysage. En cette fin d’été, des humains en maillot et parfois même des autochtones tout nus sont encore là, mais ils se raréfient au fur et à mesure que l’on avance sur le fleuve.
Sur de grosses branches au-dessus de l’eau, des cordes font office de lianes de Tarzan. Ohohohohoooo! Encore un bon spot pour débarquer et retrouver son enfance. Le papa de Titeuf, d’ailleurs, n’habite pas très loin.







Km 1,8: Sous les arches
Bientôt pointe le pont Butin, beaucoup plus joli à voir d’en bas qu’à la surface, avec ses arches majestueuses. Construit en 1927, il est venu remplacer le bac à câble qui, depuis 1782, reliait Aïre et Saint-Georges. Ironie de l’histoire: on doit l’ouvrage au legs de David Butin, un marchand de fer qui aurait bien vu son pont doté d’une voie ferrée. Mais celle-ci, bien que prévue dans le tablier inférieur de l’ouvrage, ne verra jamais le jour, pour raison budgétaire. Restez bien à droite pour passer les arches.





Km 2,3: Mékong ou Amazone?
Vous êtes encore au cœur de Genève, avec ses artères bruyantes du côté d’Onex, mais sur l’eau, c’est maintenant le monde du silence. Dans la ligne droite de la rivière qui mène aux Evaux (photo en haut à gauche), plus âme humaine qui vive. C’est le règne du végétal. Des arbres touffus, telle une mangrove, tombent littéralement dans une rivière de plus en plus opaque. Il y a comme un petit air d’Amazone ou de Mékong sur ce long tronçon. Point de singes ou de perroquets, mais vous croisez nombre d’oiseaux: hérons cendrés, foulques, cygnes, canards colverts, grèbes, martins-pêcheurs. Juste sous la surface, des bestioles semblent avoir des velléités de jouer aux poissons volants.





Km 4,4: Chez les squatters du bagne
Un virage à droite, pardon à tribord, et voilà un nouveau décor. Bienvenue à Porteous, l’ancienne station d’épuration, près d’Aïre, aujourd’hui «libérée» par des squatters. Imaginez le tableau: Pierre Maudet, du temps de sa splendeur, imaginait faire de ce lieu un centre carcéral. Juste là, au milieu de la jungle genevoise, dans la plus pure tradition des bagnes des XVIIIe et XIXe siècles, lorsqu’on éloignait les forçats de la civilisation. Ceux-ci auraient sans doute eu une belle vue sur le fleuve, mais à l’été 2018, une bande d’irréductibles (le mouvement Prenons la ville) a vu les choses autrement, occupant les lieux pour en faire un rendez-vous de la culture alternative. C’est beaucoup plus sympa.
Aujourd’hui, le site se donne des airs de Jardin Robinson, utopie des années 70, avec ses radeaux posés sur l’eau, ses cabanes en bois qui se sont rajoutées à la structure en béton et sa buvette champêtre ouverte par beaux jours les après-midi et en soirée, du vendredi au dimanche.





Km 5,2 et km 6,2: La revanche des tours
Pas un immeuble visible, disait-on. À une exception près. Bientôt se dressent devant vous les tours du Lignon. Décrié à sa construction (entre 1963 et 1971), parfois traité de «verrue», l’ensemble d’un kilomètre de long a pris sa revanche. Le voilà classé aujourd’hui monument au Patrimoine suisse.
Une fois la passerelle du Lignon franchie, une nouvelle halte se propose aux marins d’eau douce, à l’aire de pique-nique du Moulin, juste après le bois des Frères. Un ponton pour faire bronzette et amarrer son bateau vous tend les bras. Tout comme une agréable zone de pique-nique. Les corps déjà fatigués s’arrêteront ici, après un peu plus de 6 km de balade, pour y prendre le bus au Lignon en direction de la ville.





Km 7,9: Au Canada
Déjà 8 km de rames dans les bras. Vous voilà au pied de la zone industrielle de Vernier, les avions vrombissent sur votre tête, tout comme l’autoroute, et les odeurs de savon des usines Givaudan viennent vous rappeler brutalement à la civilisation. Mais cela aurait pu être pire: en 1929, Le Corbusier imaginait un canal reliant le lac Léman à la boucle du Rhône de Vernier, avec en prime une mégacité sur la presqu’île de Loëx. La roselière des Fonds, aménagée en 2004 et précieux sanctuaire pour les oiseaux et les poissons, n’aurait jamais vu le jour. La passerelle de Chèvres offre une porte de sortie aux rameurs fatigués.
Si tel n’est pas le cas, on peut poursuivre le périple sur des eaux, ma foi, de plus en plus calmes et troubles. Dans ce coin qu’on appelle d’ailleurs le «Canada», la rivière s’élargit, et se donne presque des airs de fleuve nord-américain avec ses bouts de bois qui traînent à la surface. Les roseaux de l’île de Planfonds bordent le fleuve, et l’on se fera petit et discret dans ce paradis des oiseaux, nicheurs notamment.





Km 11,5: Sortie à Peney
Encore quelques coups de rames pour débarquer, après 11,5 km de périple, au nant de Peney, où l’on peut se sustenter au Café de Peney tout proche. Rentrée en ville par les moyens du bord (retour au Seujet: bus S, tram 14 pour les non motorisés).

© Tamedia