La vie à bord comme une vie de famille

Ghislain et sa compagne, Emmanuelle, ont acheté le Why en 2013, avant de partir pour l’Arctique un an plus tard. Avec ses 20 mètres de long, la goélette accueille en moyenne une douzaine de personnes. Du «carré» à la minuscule cuisine, des cornichons rangés en «CAB AV B pl4» au b.a.-ba du Tahitien affiché aux toilettes, visite de la goélette avec Ghislain.

Ils vivent 24h/24  – un peu moins lorsqu’ils peuvent aller à terre – à douze, voire quatorze en ce moment, sur un bateau de 20 mètres de long. On y dort, mange, travaille, étudie des coraux au microscope, fait l’école pour le petit, se douche, cuisine. Pour que la mécanique roule, une certaine organisation est plus qu’indispensable.
On dort à deux par cabine, parfois dans un même lit étroit, sauf dans la cabine «familiale» de Ghislain et Emmanuelle qui dorment avec leurs deux enfants, et il y a deux salles de bains. Installé sur la lunette, on rentabilise son temps: au mur, un lexique de base pour apprendre le tahitien.

Un sol en calendrier de l'Avent

Au centre du bateau bat son cœur, le carré. Il fait office de salle à manger, de classe pour Robin, 6 ans, de laboratoire improvisé pour ausculter les coraux et de salon pour visionner la série «Game of Thrones». Le moindre recoin du bateau est utilisé pour du stockage, sous les lits comme dans les parois, du mur au plancher. Le sol ressemble à un calendrier de l’Avent: partout, des trappes. Là des linges, là de la sauce tomate, là des fruits secs conditionnés dans des récipients. On se sert, on remplit, ça circule sous l'escalier et les entrailles du bateau. Des vivres, mais aussi tout le nécessaire du quotidien, des livres, des jeux pour enfants, des chargeurs pour les appareils électroniques, les quelques vêtements d’été – qui ont remplacé polaires et bonnets de l’Arctique –, les bouteilles de gaz. L’espace est organisé au centimètre près. Même rigueur pour la cuisine et la gestion des vivres.



La cuisine de Pollypocket, c’est le domaine d’Isabelle, la «médicook» des Hautes-Alpes. Un deux en un pour rentabiliser le poste de médecin qui intervient finalement peu – heureusement. Elle termine bientôt ses trois mois de travail et s’attelle à former sa relève, qui n’est autre que son compagnon, Pierre. Le bateau a fait le plein de vivres à son arrivée en Polynésie, le tout dispersé avec précision dans les différentes cases. Encore faut-il se rappeler où on a rangé les tablettes de chocolat… Alors pour plus d’efficacité, tout est répertorié. Une liste dresse le précieux inventaire: abricots secs, CAB AV T (cabine avant tribord) Li2 (sous le lit 2). CAB AV B (bâbord), Pl4 (plancher N°4). Tout est ainsi listé, accompagné de la quantité restante. Une fois par semaine, si la terre n’est pas trop loin, on se ravitaille en produits frais. Un gros congélateur conserve le tout, sous le lit de Ghislain et Emmanuelle.

À côté de la liste des vivres, deux autres feuilles placardées: le tournus de vaisselle et de ménage. Ce midi, c’est Nicolas qui s’y colle. Nettoyage en gros avec de l’eau de mer, rinçage à l’eau douce, utilisée avec parcimonie pour éviter de trop solliciter le désalinisateur. Pour le séchage, on bâtit soigneusement un village de tours de Pise. Et pour ranger dans les placards, on joue à Tetris. Sauf dans l’armoire à casseroles où il est impossible d’improviser: une photo rappelle qu’il n’existe qu’une combinaison possible et sert de support pour tout ranger dans l’ordre.

«Au centre, c'est le carré. Qui fait office de salon, de salle à manger, de salle de classe pour Robin, 6 ans, de laboratoire improvisé.»

La vie à bord

La journée à bord du Why se déroule comme n'importe quelle autre journée de travail. Levé tôt, petit-déjeuner, travail – plongées et autres –, repas. Ce midi, c’était salade de pâtes aux pignons grillés, café et chocolat à la fleur de sel. Celui de la veille a moins séduit, chou et carottes, agrémentés de banane plantain. Le riz prévu pour le soir terminera finalement dans l’assiette de Julien, responsable des plongées, qui avait trop faim.

Trains, glaces et ramassage de déchets

Pendant que les grands travaillent, il faut occuper les deux enfants de Ghislain et Emmanuelle, Robin, 6 ans, et Max, 2 ans. C’est la mission de Camille, la nounou. Qui doit faire preuve d’une bonne dose d’imagination pour trouver des occupations. Visite à la bibliothèque de Bora-Bora, jeux sur l’atoll voisin (et ramassage des déchets au passage), atelier cuisine… et moments dessin, pour Robin, féru de trains, qui esquisse en circuit fermé des «TER duplex» et des TGV avec wagon-restaurant, locomotive, 2e et 1re classe, jusqu’aux grilles d’aération. On se rend aussi à terre, tous ensemble, pour une glace. On rejoint la rive en zodiac, puis la ville, à pied. Avant que Max, en charge des aspects multimédias, ne tende le pouce. Le stop fonctionne, on termine tous à l’arrière d’une camionnette. La conductrice et sa passagère ont caché en riant la bouteille de rhum dans la boîte à gants en voyant les enfants.

«Notre rêve à Ghislain et à moi est devenu le leur.»

En plus de quelques règles de vie, la bonne cohésion dans l'espace restreint du bateau tient aux personnalités. «On reçoit beaucoup de candidatures, il ne faut effectivement pas se tromper dans le casting, sourit Emmanuelle. Certains viennent à bord pour plusieurs mois, d’autres toute la durée de l’expédition. «Le plus important est que chacun ait sa fonction, sa tâche. Et il sait que s’il ne l’effectue pas, c’est quelqu’un d’autre qui devra le faire à sa place. On a de la chance, la cohésion est excellente. C’est rare de pouvoir réaliser des projets comme UTP alors les gens qui viennent sur le Why sont hypermotivés. Notre rêve à Ghislain et à moi est devenu le leur.»

La présence des deux enfants joue un rôle important, selon elle. «Il n’y a jamais de coups de gueule, d’emportements. On n’ose pas faire ça devant un enfant, l’adulte prend sur lui. Et c’est par la suite, à tête reposée, qu’on peut rediscuter des sujets de tension. Cela atténue aussi un peu l’ambiance «testostérone» d’un équipage composé en majorité d’hommes!»

Bye-bye Bora-Bora

Il est temps pour l’équipe d’Under The Pole de reprendre sa route pour voguer vers d’autres îles de Polynésie. On met aussi les voiles, par les airs et direction Genève, avec un pincement au cœur. Dans notre sac, des découvertes à la chaîne, sur le plan scientifique évidemment, avec cette immersion dans les grandes profondeurs, les prouesses techniques de l’équipe, ses nombreux objets de recherche, ses futurs projets. Des découvertes sur le plan humain aussi. Des échanges sur la passion de transmettre ses rêves et la ténacité nécessaire à leur réalisation, un rafistolage salvateur de genoux blessés, la découverte de cet étrange animal qu’est le corail, des trains au feutre en file indienne, des bribes du quotidien en Arctique, de la bonne humeur en quantité. Des parcours inspirants et passionnants. A l'image de l'expédition Under The Pole.

L’aventure continue pour l'équipe, qui poursuit ses plongées quasi quotidiennes à travers les cinq archipels de la Polynésie. Elle testera l’an prochain la fameuse capsule de vie à saturation, sorte d’habitat qui permettra aux plongeurs d’enchaîner les sorties sans avoir besoin de remonter à la surface (et d’effectuer des paliers contraignants et longs), ainsi que d’observer in situ la vie sous-marine.

Le bateau s’en ira en août 2019 vers le Chili et arrivera l'Antarctique en fin d'année. Le WHY y restera un an, pour poursuivre notamment ses études sur la biofluorescence (ré-émission de la lumière du soleil sous d’autres couleurs) et la bioluminescence (produite par les animaux). Afin de comprendre comment elles sont utilisées notamment pour la communication, la reproduction et face aux prédateurs. En mars 2020, la goélette reprendra sa route en remontant l’Atlantique jusqu’aux côtes de Cornouaille. L’arrivée au port d’attache et à la base logistique de l’expédition, Concarneau, se fera trois mois plus tard.

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