Le pape,
pop star à Genève

Textes: Aurélie Toninato
Vidéos: F. Thomasset, G. Cabrera, L. Fasler
Photos: Georges Cabrera/CIG/Keystone
Réalisation web: Frédéric Thomasset
Infographie: Gilles Laplace
Rédaction photo; E. Gastaldello, E. Parades
Correction: Nicolas Fleury, Alejandro Sierra

Du boxeur athée devenu animateur en paroisse au moine devenu star de pop-rock chrétien, cinq fidèles racontent la manière dont ils vivent leur foi.

Fabrice, du monastère au rock chrétien

On se surprend à bouger le pied en rythme, entraîné par la musique. Surpris, parce qu’on est dans une église. Et que le morceau qui nous emballe égraine les «Saint est le Seigneur». Au micro et à la guitare, Fabrice Kaspar. Ce Genevois de 41 ans a fondé le groupe de rock chrétien P.U.S.H. Après avoir enchaîné les années de tournées, il est maintenant assistant pastoral à la paroisse Sainte-Croix de Carouge.

Il est tombé dans la marmite petit mais en est vite ressorti. À 12 ans, le turbulent Fabrice Kaspar dérange au cathé et finit par s’en aller. Quelques années plus tard, alors qu’il s’interroge sur Dieu et la religion, il rejoint un groupe de jeunes. «L’ambiance était bonne, j’y suis retourné.» Et lors d’une soirée de prière, «je me suis soudain senti rempli de paix. La conviction que Dieu s’occupait de moi est venue m’habiter. Ce moment a été fondateur.» La flamme est allumée.

«J’ai commencé à lire le Nouveau Testament, la manière dont Jésus se comportait avec les gens me parlait. Ça m’a donné confiance en moi.» Après des études de philosophie et de théologie en France, il se dit: «Autant aller jusqu’au bout» et intègre un monastère en Bourgogne. Cinq ans de vie monacale, de 19 à 24 ans. «Je me sentais libre. Mais un jour, un responsable m’a dit que je risquais d’être à l’étroit.»



Retour à Genève, où il travaille à l’Hôpital de Loëx, tout en jonglant avec une formation en animation socioculturelle, son engagement en paroisse et la composition de rock chrétien à partir de la Bible. De la musique d’église qui ne fait pas piquer du nez.

Le groupe P.U.S.H (Pray Until Something Happens) naît en 2002 avec sept membres, pas tous catholiques ni même chrétiens. Un premier album et le début du succès. En vrac, pour jauger l’aura: tournées en Europe, 13 000 jeunes réunis à Paris, 100 dates de concert par an, un album de Noël diffusé à 330 000 exemplaires…

Fabrice Kaspar vit de sa musique jusqu’en 2015, où il réduit la voilure. Après trois ans de formation, il est tout récemment devenu assistant pastoral. Son credo, inspiré du pape François: «Passer d’une pastorale de conservation à une pastorale missionnaire.»

Alors il fait bouger les lignes, instaure une messe des familles en musique – avec P.U.S.H – qui réunit un dimanche par mois à Carouge près de 400 personnes. Le pape François est une source d’inspiration pour lui. Il ira le voir en famille, avec sa femme, Caroline, et leurs trois filles. «On va participer à un bel élan de foi. Ça va être super émouvant.»

Que représente le pape?
Celui qui veille à l’unité de toutes les communautés et les encourage à suivre le Christ jusqu’au bout.

Comment le décrire en quelques mots?
Il incarne l’élan missionnaire dont l’Église a besoin, une attention à l’autre, un changement.

Si vous pouviez lui parler, que lui diriez-vous?
Parlez-moi de Jésus et dites-moi à quel moment il vous a touché la première fois.

Juliana: «Quand j’ai su que je ne verrais pas le pape, j’ai pleuré»



«À 0 h 01, j’étais prête à prendre les billets pour la messe. J’ai attendu jusqu’à 2h du matin, sans succès. À 7 h 35, le site a indiqué que c’était complet! Quand j’ai su que je ne verrais pas le «papa Francesco», j’ai pleuré.»

Juliana Knoll, 40 ans, est née à Mendoza, en Argentine, le pays de Sa Sainteté. Elle raconte avec un accent chantant et un débit volubile qu’après des études en relations internationales, elle a voulu découvrir d’autres horizons et apprendre le français. Avant d’arriver en Suisse à 24 ans. «J’ai continué à aller à l’église, il y a une belle dynamique ici mais moins de monde dans les églises qu’en Argentine…»

Elle travaille aujourd’hui dans une agence de l’ONU, est mariée à Ralph et maman de jumeaux de 4 ans, Isabella et Rafael. La religion continue de l’imprégner. «Ma mère est très pratiquante. De ma fratrie, je suis la seule à avoir continué sur cette voie, c’est une fierté pour elle», sourit-elle. Que lui apporte la foi? «Ça m’aide dans mes moments de tristesse, lorsque mes proches en Argentine me manquent, je prie et je trouve du réconfort. Je remercie aussi pour tout ce que j’ai.»



Elle se rend à la messe tous les dimanches, avec enfants et mari, «même s’il est protestant». Ils comptaient assister à la messe du pape François tous ensemble. «Notre paroisse nous avait dit que nous pouvions prendre des billets sur Internet le 1er juin. Or, ils étaient déjà tous partis quand la billetterie a ouvert… raconte Ralph. Énormément de gens ont été fâchés et déçus, nous les premiers. C’est dommage, l’Église a été dépassée par les attentes.» Juliana ajoute: «On avait pris congé. On le regardera à la TV mais ce n’est pas la même chose. Si le papa savait qu’autant de personnes sont restées sur le carreau, il ne serait sûrement pas content!»

Ce pape a une signification particulière pour elle. Parce qu’il est Argentin, «mais surtout parce que je suis fière de ses actions, il a ouvert l’Église. Et parce que le jour où habemus papam, le 13 mars 2013, nous avons appris que j’étais enceinte de jumeaux! Je me souviendrai toute ma vie de cette journée.» Son mari rajoute en souriant: «Et en plus de tout ça, le FC Barcelone s’était imposé 4-0 face à l’AC Milan la veille!»

Que représente le pape?
Un guide spirituel, et il incarne la figure de Jésus.

Comment le décrire en quelques mots?
Il est humble, incarne la paix et la joie de vivre. Il va à la rencontre des gens, sur les réseaux sociaux aussi. D’ailleurs je le follow sur Twitter!

Si vous pouviez lui parler, que lui diriez-vous?
Je lui ferais plutôt un gros câlin! Et je lui dirais de continuer à s’adresser à la jeunesse comme il le fait, c’est important

Randy: «J’attends la venue du pape autant que le Mondial!»



«La venue du pape, j’attends ça autant que le Mondial de foot, c’est énorme!» lâche en riant Randy Ahamba, 19 ans. Cet arbitre amateur et futur étudiant en médecine est responsable d’un groupe de jeunes à l’église de Sainte-Croix, à Carouge. Il emmènera une partie de ses ouailles à la messe de Sa Sainteté et «j’en suis ravi mais d’une force!»

Il vient d’une famille plutôt pratiquante, «mais moi ça ne m’intéressait pas vraiment. Après la première communion, j’ai tout arrêté.» A 17 ans, retour sur les bancs de l’église, «ma mère m’en avait reparlé, je voulais réessayer. À l’entrée, j’ai retrouvé un ami qui se chargeait de l’accueil. Il était tellement souriant, et les gens autour de lui aussi, je me suis senti vraiment accueilli.»

Si bien reçu qu’il y retourne, fait la connaissance de l’assistant pastoral Fabrice Kaspar (lire son portrait), qui lui propose d’intégrer le groupe de jeunes de l’église de Sainte-Croix. Il se lance dans le cursus de la confirmation en mode express, une fois par semaine.

«Beaucoup veulent aussi savoir pourquoi j’y crois»

«Une fois confirmé, on ne se dit pas: «Waouh je suis un nouvel homme.» Le changement vient en lisant les textes, en fréquentant certaines personnes, là on évolue.» C’est-à-dire? «Je me sens plus sûr de moi et plus apaisé parce que je sais que Dieu veille sur moi.»

Randy parle de sa foi comme il raconterait un bon match de foot, avec enthousiasme et entrain. Mais ça n’a pas toujours été aussi facile. La petite croix en pendentif est longtemps restée cachée sous le t-shirt. «J’en parlais peu au début, les gens ont des préjugés. Mais la majorité de mes potes respecte ma croyance. D’autres pensent que la religion, c’est pour les faibles, que c’est se bercer d’illusions… Ça mène à des débats animés! (Il rit). Beaucoup veulent aussi savoir pourquoi j’y crois.» Et que répond-il? «J’ai énormément de chance d’avoir la vie que j’ai, d’être en bonne santé. Tout ça me fait croire qu’il y a quelque chose qui veille sur moi. Même si parfois on est mis à l’épreuve.»

Randy ne s’impose pas de discipline particulière, «j’essaie d’aller soit à la messe de la paroisse soit à celle des jeunes le dimanche au Sacré-Cœur où on met trop le feu!» Et la prière? «Enfant, on priait avant de dormir, pour que ma mère trouve un travail, sourit-il. Aujourd’hui, j’essaie de prier tous les jours. Dieu n’est pas une ligne téléphonique qu’on met en attente, c’est n’importe où n’importe quand. L’essentiel est de garder un contact régulier pour que la relation reste intacte, comme avec un ami.»

Que représente le pape?
C’est le boss! Plus sérieusement, c’est le représentant de Dieu sur Terre, il incarne les valeurs de l’Église, le partage, l’entraide, la fraternité.

Comment le décrire en quelques mots?
C’est quelqu’un de très humble, simple et proche des gens.

Si vous pouviez lui parler, que lui diriez-vous?
Alors déjà je lui dirais: «Merci de faire ce que vous faites.» Ensuite, j’aurais envie de l’écouter, qu’il me dise comment m’améliorer, que faire pour aider les autres.

Baptisé à 18 ans, Thobias le boxeur guide désormais les jeunes



Son temple à lui a longtemps été un ring. Son Dieu avait des gants de boxe et lançait des uppercuts. La religion était reléguée au vestiaire, dans le coin des trucs auxquels on s’intéresse sans trop savoir qu’en faire. Mais à 17 ans, Thobias San Antonio a poussé la porte de l’église de Sainte-Croix, à Carouge. Aujourd’hui, à 19 ans, le combo baptême-première communion-confirmation en poche, l’entraîneur de boxe est animateur d’un groupe de jeunes de la paroisse avec son ami d’enfance Randy (lire son portrait).

À la maison, on ne parlait pas religion. «Mes parents n’ont pas un rapport serein avec ça. Ils ont connu la dictature de Franco, la religion imposée, les écoles catholiques. Ça les a dégoûtés.» Thobias, lui, a toujours cherché des réponses à ses interrogations. «Je ne voulais pas forcément devenir croyant, j’étais juste curieux. Je me suis intéressé à l’islam comme au bouddhisme.»

Il y a trois ans, à l’invitation de Randy, il participe à une messe des familles à Carouge, sa commune. «Il m’avait demandé d’aider à la mise en place. J’aime rendre service. Là, j’ai été touché par les gens, par leur bienveillance.» Il reviendra plusieurs fois avant d’être nommé animateur leader du groupe de jeunes «pour les préparer à la confirmation. Je n’étais alors même pas baptisé!» Au même moment, sa vie accuse une fracture, le poignet est k.-o. «Je n’ai pas pu commencer ma carrière de boxeur… mais je me suis dit que quelque chose de plus grand m’attendait.»

«Je ne voulais pas forcément devenir croyant, j’étais juste curieux»

Cette force et cet état d’esprit ne sont pas tombés du ciel mais ils lui sont liés. «Plus je m’engageais dans l’église et pour les autres, plus je lisais de textes, plus je me sentais changer. Je compare ça à un développement personnel. La religion a amélioré ma façon d’être. Je me suis calmé, ça m’a apaisé.» Ce «quelque chose de plus grand» sera l’association Pylsport, à but non lucratif, qu’il crée avec trois amis pour accompagner d’autres jeunes à travers le sport. «Je suis devenu l’un des plus jeunes entraîneurs de Genève!» Il se découvre aussi une autre vocation: il suit aujourd’hui des études pour devenir assistant socio-éducatif.



Avec le catholicisme, il dit avoir trouvé une religion qui lui correspond, «parce que c’est la religion de l’amour, de l’entraide». Un amour inconditionnel qui exclut toutefois certains… «J’ai mes propres opinions. Je ne suis personne pour priver des gens de s’aimer. On essaie d’accepter au mieux tout le monde malgré les «différences» de chacun et on ne veut mettre à part personne.» Thobias ne sait pas encore s’il pourra se rendre à Palexpo: «Je finis tard le boulot…»

De toute manière, il a déjà croisé la route de François. «À Rome, l’an passé. C’était émouvant de voir autant de personnes réunies en paix.»

Que représente le pape?
C’est le porte-parole de la religion catholique.

Comment le décrire en quelques mots?
Il est différent des autres papes, rempli d’humilité.

Si vous pouviez lui parler, que lui diriez-vous?
J’ai plusieurs questions qui me trottent dans la tête… De ma question découlera un enseignement et on priera ensemble.

Anne: «La starification me déplaît. Mais je me réjouis d’entendre le pape»



Elle a une bronchite qui joue les sédentaires, la gorge qui brûle et des restes de fièvre. Malgré ça, elle est venue. «Je n’allais quand même pas vous faire faux bond!» Anne Deshusses-Raemy a 60 ans, deux enfants, quatre petits-fils et trois métiers au compteur.

Côté cour, elle a été professeure de musique au primaire, puis enseignante spécialisée. Côté jardin, elle a été bénévole à l’Église catholique de Genève et a dirigé sa chorale.

Avant qu’en 2003, le jardin ne prenne le dessus: elle se lance dans des études de théologie à distance. «Je voulais apprendre l’hébreu et le grec afin de lire les textes sans passer par les traductions. J’ai terminé mon cursus en six ans, à 51 ans!»

Son engagement dans l’Église se fait alors plus important, elle devient assistante pastorale, enseignante puis codirectrice de l’Atelier œcuménique de théologie, «une association subventionnée par les Églises et destinée à tout chrétien qui se pose des questions sur la Bible comme sur le sens de la vie». Deux membres de cet atelier ont par ailleurs été invités au COE le 21 juin.

En parallèle, la Genevoise est aujourd’hui responsable du service ForME, pour la formation à la mission ecclésiale. «Nous formons des adultes aux services dont l’Église a besoin, de l’animation de groupe à la présidence de funérailles.»



Anne Deshusses-Raemy a croisé le chemin de deux papes à Genève. D’abord celui de Paul VI, en 1969. «J’avais 10 ans. L’ambiance au parc La Grange était très bon enfant, comme un grand pique-nique!» Et d’analyser: «Vatican II était encore dans les esprits (ndlr: le concile s’est terminé en 1965). Les gens se sont dit que l’Église était en train de s’ouvrir au monde et cela a probablement contribué à augmenter encore l’affluence.»

Pour la venue de Jean-Paul II, en 1982, la Genevoise était enceinte et membre du petit chœur qui a chanté à Palexpo. «Il était apprécié mais n’était alors pas encore la figure populaire qu’il est devenu par la suite.»

Le 21 juin, elle se rendra à la messe du pape François. Davantage parce que ça fait partie de son monde professionnel que par envie absolue. «Je ne raffole pas de ces grands rassemblements. J’ai déjà vu le pape à Rome en 2013, il y avait des hommes en noir partout, une certaine hystérie pour le toucher, lui faire bénir quelque chose. Cette starification me déplaît, mais le pape n’y peut rien.»

Elle se réjouit de l’entendre. «Ce sont les paroles plutôt que l’homme qui m’importent. Je me rappelle encore les siennes à Rome: «Arrêtez de faire mais soyez.»

Que représente le pape?
C’est l’évêque de Rome. Comme homme d’État, il peut avoir une grande influence sur le bien vivre-ensemble du monde entier.

Comment le décrire en quelques mots?
Le pape François ne trône pas. Il ose faire autrement et pas toujours avec une politique de petits pas. Mais c’est fait de manière intelligente, en donnant des orientations plutôt que des actes décisionnels.

Si vous pouviez lui parler, que lui diriez-vous?
Je lui demanderais qu’on prie ensemble.

© Tamedia