Comment les vols low cost ont tué trains de nuit et TGV

Troisième volet de notre série




Les passagers privilégient l’aérien au ferroviaire, jugé trop cher et trop lent. Une tendance qui n’est pas près de s’inverser

Dans les années 1990, depuis Cornavin, des trains de nuit partaient en direction de Rome et de Barcelone tous les soirs. Vers la Yougoslavie via Venise dans le sillage de l’Orient Express. Des wagons-lits décorés d’un marteau et d’une faucille nous transportaient jusqu’à Moscou. Aujourd’hui, plus rien de tel.

En 2012, les TGV Lyria reliaient trois fois par jour Genève au sud de la France. Aujourd’hui, les dessertes vers Montpellier et Nice ont été arrêtées, il n’en reste qu’une seule pour Marseille. Un seuil symbolique a récemment été franchi pour les TGV Lyria. Moins de la moitié des voyageurs pour Paris les utilisent désormais. Absorbés par le ciel.

Depuis Genève, pour aller à Mosocu ou à Belgrade, l’aviation propose des tarifs imbattables. Ils font aussi saliver sur de courtes distances. Easyjet transporte chaque année un nombre ahurissant de passagers supplémentaires. Depuis Cointrin en novembre (le mois où le trafic aérien est le moins chargé), une bonne douzaine d’avions volent chaque jour vers Paris. Une vingtaine vers Londres. Sans compter les jets d’affaires.

Difficile de ne pas voir un lien entre l’accroissement des dessertes aériennes, voire celui des bus à bas coût, et le délitement de l’offre ferroviaire internationale. D’autant plus que, partout en Europe, la tendance est similaire.

Infrastructures onéreuses


En France, ces dix dernières années, le trafic TGV (train à grande vitesse) est resté atone, alors que l’aérien a accueilli 20% de passagers en plus, selon le ministère des Transports. En Italie, malgré le succès des TGV et la concurrence entre deux opérateurs, l’offre ferroviaire longue distance s’est à peine développée en vingt ans. En Europe, le réseau de trains de nuit, lents, pas forcément confortables, a largement été démantelé.



L’explication est simple, selon Yves Crozet, professeur à Sciences Po Lyon: le train (même ses variantes low cost) est plus cher que l’avion, qui permet d’aller plus vite et plus loin. De Lyon à Paris, il faut compter 10 à 15 centimes par voyageur et par kilomètre pour le train, contre 5 à 6 centimes pour l’avion, selon ses calculs.

«Les trains dépendent d’une voie ferrée dont il faut payer l’entretien; l’avion, dans le ciel, vole de ses propres ailes, estime Yves Crozet. Et l’électricité, qui propulse les trains, n’est pas un carburant bon marché.»

L’aviation internationale bénéficie d’un accès défiscalisé au kérosène, mais en Europe, malgré les subventions au ferroviaire, le train a moins de marges de manœuvre pour ajuster ses coûts, selon Yves Crozet.
«La concurrence avec le train n’est pas directe puisque le plus souvent les trajets aériens n’ont pas d’équivalent ferroviaire. Mais l’univers des choix étant modifié, les jeunes et moins jeunes choisissent de plus en plus le mode de transport (l’avion) avant de choisir la destination», ajoute le spécialiste de l’économie des transports.

«Les trains ont creusé leur propre tombe»


Des observateurs inquiets pour la planète veulent croire que l’offre des trains de nuit, moins polluants, resurgit. En Autriche, un nouveau réseau d’Intercités de nuit s’étend de Hambourg à Rome – avec des départs à Bâle et Zurich – et des lignes supplémentaires doivent être inaugurées. En France, la ministre des Transports a indiqué cet automne que «oui les trains de nuit ont de l’avenir». Une pétition circule pour les relancer. Ses auteurs soutiennent que si les vélos et les tramways sont revenus au-devant de la scène, les trains de nuit peuvent faire de même.

Mais les experts consultés dans le cadre de cet article y voient un marché de niche, onéreux, de nostalgiques. Rien, selon eux, qui n’inversera la tendance.

«Le ferroviaire n’a pas attendu l’essor des low cost aériens pour péricliter», dit d’ailleurs Vincent Kaufmann. Le spécialiste des transports de l’EPFL estime que les compagnies ferroviaires sont repliées sur leurs marchés nationaux, aujourd’hui comme il y a vingt ans, quand les low cost aériens faisaient leur apparition.

«Le matériel ferroviaire est moins unifié que par le passé. Ceci rend incompatible l’utilisation d’un train d’un pays à un autre. Les trains ont creusé leur propre tombe, l’avion s’est engouffré dans la brèche», selon Vincent Kaufmann.

De nouvelles règles?


Un rapport de la Cour des comptes européenne, publié cet été, évoque un réseau ferroviaire à grande vitesse européen «fragmenté et inefficace» et appelle à la création d’un espace unifié.

Des voix proposent de durcir les règles. Plus de 80% des vols au départ de la Suisse desservent une destination européenne et 40% d’entre eux parcourent une distance de moins de 800 km, «faisable en train», indiquait ce printemps dans nos colonnes Florian Egli, vice-président du think tank Foraus.

«Si on supprimait tous les vols au départ de Genève avec une desserte de moins de trois heures, vers Milan, Paris, Zurich, Marseille par exemple, ça ferait vite 40 vols en moins par jour», relève Vincent Kaufmann. Utopique? Pas pour l’Université de Bâle, qui vient d’interdire à ses employés d’utiliser un avion pour les voyages de moins de 1000 kilomètres.

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