Écoles et patrons
veulent limiter
les déplacements en avion

Sixième volet de notre série




Sensibles à leur bilan carbone, des sociétés pensent
à réduire l’usage de l’avion. L’Uni de Bâle a franchi le pas. L’EPFL va suivre

Fini de prendre l’avion à tout va. À Bâle, l’Université a décidé de limiter les vols de moins de 1000 km. Cette mesure concerne pour l’heure les voyages d’études, pour autant qu’il existe une autre solution «supportable» par le rail. Les professeurs qui se rendent à des congrès échappent à ces restrictions, mais peut-être plus pour longtemps.

Cette mesure est inédite dans le monde académique. Pour autant, elle n’est pas iconoclaste. De plus en plus d’écoles ou d’entreprises s’interrogent sur leur bilan carbone et la manière de le réduire.

À Lausanne, l’École polytechnique fédérale (EPFL) est prête à agir en ce sens. Pour cela, elle a réalisé des études dont les résultats sont édifiants. Un tiers de ses émissions de CO2 est produit par ses bâtiments, un tiers par les déplacements de ses collaborateurs et étudiants pour se rendre au travail et… le dernier tiers par les vols en avion. «Beaucoup de nos chercheurs doivent voyager pour présenter des conférences ou participer à des séminaires», explique Luca Fontana, spécialiste en mobilités durables à l’EPFL.

Des voyages utiles?

L’école fédérale peut toutefois faire beaucoup mieux. Selon ses calculs, elle pourrait réduire ses émissions aériennes de 17% en volant uniquement en classe économique (la pollution est plus importante en classe business car l’avion est moins rempli). Elle pourrait encore les abaisser de 15% si les vols continentaux étaient remplacés par le train.

Mais pas question d’agir à la légère. «Nous avons mené deux autres études, poursuit Luca Fontana. L’une pour mieux comprendre les raisons des voyages et les besoins des chercheurs, et l’autre pour savoir s’il existe une corrélation entre les voyages en avion et les performances académiques des chercheurs.»
En clair, un prof est-il meilleur s’il voyage beaucoup? Question sensible, on s’en doute. Les résultats seront communiqués très prochainement à la direction, «qui choisira ensuite le plan d’action le plus efficace possible».

À Genève, l’Université n’est pas aussi avancée mais elle y réfléchit. Elle va d’abord s’atteler à faire un bilan de ses émissions. Elle sait déjà que ses collaborateurs ont pris l’avion 2700 fois en 2017. «Nous allons étayer ces données pour mieux évaluer notre impact, puis nous proposerons des mesures», explique Jörg Balsiger, directeur de l’institut Gouvernance de l’environnement et développement territorial.

Comme ses pairs, il relève l’importance pour les professeurs de se déplacer, notamment pour participer à des congrès. «Pour les jeunes chercheurs aussi, c’est important, cela contribue à enrichir leur CV.» Certes, la vidéoconférence est parfois utilisée, mais elle ne remplace pas les contacts informels pris lors de ces déplacements. «Mais il y a sans aucun doute une marge de manœuvre.»

L’école ne limite plus

L’école genevoise est, elle aussi, confrontée à la boulimie de voyages aériens. Au point qu’en 2012, le Département de l’instruction publique (DIP) avait interdit les vols en avion pour des raisons écologiques. Mais en 2014, il est revenu en arrière, les vols étant bien moins chers que le train.

Cette solution ne convient guère à Anne Emery-Torracinta, cheffe du DIP. «Il faut du bon sens, relève son porte-parole. Un vol pour Nice ou Paris ne se justifie pas.» Le DIP mène une réflexion sur le sens des voyages d’études, «ce qui devrait permettre de préciser les règles en matière de déplacements.»

Et les entreprises? Sont-elles sensibles au sujet? Plusieurs sociétés ont adopté des stratégies afin de réduire leurs émissions de CO2, avec des degrés de contraintes variables. UBS affirme avoir baissé ses émissions de 59% depuis 2004. Elle dit encourager ses employés à éviter les vols en avion, en privilégiant le train ou les vidéoconférences, et compense tous ses vols. Le World Economic Forum (WEF) vient, lui aussi, de dresser un bilan environnemental de ses activités. Sa stratégie, qu’il va rendre publique ces prochains jours, vise principalement à réduire les déplacements aériens.

La SGS (Société générale de surveillance) connaît son empreinte carbone depuis 2008. Elle n’interdit aucun trajet en avion, «mais chez nous il est plus naturel de prendre le train pour Paris et toutes nos émissions carbone sont compensées», commente Daniel Rüfenacht, en charge des questions de durabilité. À la SGS, l’avion ne représente que 8% des émissions de CO2. Contre 56% pour ses 2400 bâtiments répartis dans le monde. Ses priorités sont donc l’immobilier, ainsi que sa flotte de 10 000 véhicules, pour lesquels elle exige des valeurs limites d’émission.

Favoriser la visioconférence

La Banque Pictet comptabilise ses émissions de CO2 depuis 2007 et, en dix ans, elle les a réduites d’un tiers, comme l’indique son rapport d’activité. Près de 60% de ses émissions sont générées par les déplacements professionnels (sans compter les trajets travail-domicile), sans que le mode de transport ne soit précisé. Un gisement d’économies potentiel. La banque mise notamment sur la visioconférence pour les limiter et tente de faciliter au mieux l’utilisation de cet outil. En 2017, les collaborateurs du groupe y ont consacré 64 000 heures. En cinq ans, l’utilisation de la visioconférence a été multipliée par quatre.

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