Erwan Le Bec

Les archives déclassifiées à la veille du centenaire de la Grande Guerre ne permettent pas seulement, au grand public, de retrouver le parcours d’aïeux oubliés. L’heure est aussi à la douloureuse analyse d’une polémique encore vive: comment, côté français et durant le conflit, un peu plus d’un millier d’hommes ont pu être passés par les armes. Sans compter les exécutions sommaires. Cette réalité est, aujourd’hui, perçue comme une sorte de course hors de contrôle de la hiérarchie d’alors. Déjà rude, la justice civile accoutumée aux peines capitales voit son pendant militaire perdre peu à peu tous ses garde-fous sous l’effet de la panique de 1914. Les recours en révision sont suspendus. Les dossiers n’ont plus à être transmis à l’Élysée. Le droit de grâce se restreint à presque rien. Il faudra attendre 1916 pour que les procédures retrouvent un semblant de normal, quand la politique reprend en main la machine militaire. Reste la conviction de donner des exemples pour maintenir l’ordre dans les rangs.

En tout, sept enfants de la Confédération vont en faire les frais. Trois civils, pour espionnage, dont la presque célèbre Mata Hari suisse, la demi-mondaine Regina Diana manipulée par des espions allemands,, et quatre militaires.

Un «soldat indigne»

Dont Édouard Gerbex, un Genevois établi à Grenoble comme manœuvre et comme voiturier, célibataire, et incorporé au 149e d’infanterie. Un pauvre bougre visiblement, déjà condamné pour filouterie d’aliments, vagabondage, vol, ainsi qu’une première désertion en 1911 (il file trop longtemps voir sa mère qui venait de mourir à Genève) et une autre en 1915. Alors la Justice militaire ne va pas le rater quand, le 8 mars 1916, au tout début de la bataille de Verdun, le Genevois s’éclipse lorsque sa compagnie monte au front, sous les bombes. Les gendarmes le cueillent le 17 mars. Rapidement, le Conseil de guerre charge la barque: «caractère sans énergie et d’une intelligence en dessous de la moyenne», «mal noté par son commandant qui le dit indiscipliné, fainéant, cherchant toujours à se soustraire à ses obligations». On prend le temps d’ausculter ses notes de service jusqu’au moindre détail. En 1912, il a ainsi refusé d’enlever les épingles de son pantalon pour sortir en ville et refusé de faire son lit le matin. On interroge son escouade.

Le chef de bataillon enfonce le clou: «Soldat indigne, il n’y a lieu d’espérer aucun relèvement. Mérite toute la rigueur du code de justice militaire.» Sa blessure à Notre-Dame-de-Lorette ne changera rien. L’heure est grave. Verdun menace de tomber.

Le Genevois est fusillé le 3 juin 1916, à 4 h du matin. Le peloton étant choisi au sein de son propre régiment.