Y aura-t-il encore
un «Musée d'ethnographie»
demain?


Dans l’univers des bibliothèques, on parle de «désherbage». Dans un musée comme le MEG (Musée d'ethnographie de Genève), il s’agit plutôt de «cessions», et un déménagement est la saison idéale pour élaguer les collections. Si elles sont en France inaliénables de par la loi, ce n’est pas le cas en Suisse, où il s’agit d’un principe éthique établi: on ne vend pas quelque chose que l’on a reçu. Nous sommes donc loin de la pratique étasunienne consistant à monnayer des objets pour en acheter d’autres, voire pour rénover ou construire un musée.

Honnêteté envers l'objet

«Lors de l’évaluation de nos collections, il est naturel de se poser la question: le MEG est-il le mieux placé pour mettre en valeur telle ou telle pièce en termes de compétences et de ressources financières? Il s’agit d’honnêteté envers l’objet», souligne Carine Ayélé Durand, conservatrice en chef, responsable de l'unité Collections. Depuis 2017, le MEG a donc procédé à quelques transferts vers d’autres musées genevois: plusieurs antiquités égyptiennes ont pris récemment le chemin du MAH; une machine pharmaceutique à fabriquer des médicaments, celui du Musée des Sciences; un fossile de poisson a migré au Muséum; des affiches suisses et genevoises ont été livrées au Centre d’iconographie; certaines pièces de céramique ou de verre ont été déposées au Musée Ariana. En échange, cette institution a transféré au MEG toutes ses collections asiatiques qui ne sont ni en céramique ni en verre.

«Le MEG est-il le mieux placé pour mettre en valeur telle ou telle pièce en termes de compétences et de ressources financières?»

Un déménagement, c’est aussi l’opportunité d’un remue-méninges plus vaste. Et ça, c’est le rayon de Boris Wastiau. «Nos collections sont ancrées dans un passé de nature ethnographique et de période coloniale. Elles ne pourront pas évoluer et ne sont donc pas une réponse à un projet novateur pour le MEG», assène son directeur, qui tempère: «Elles font partie de l’histoire genevoise. Nous les conservons, les étudions et nous les mettrons encore davantage en valeur à l’avenir, afin de répondre à la question: comment comprendre grâce à elles le rapport de Genève au reste du monde à une certaine époque? Mais pour parler des grandes questions d’aujourd’hui, elles ne vont pas nous avancer grandement.» On aura beau fouiller dans les réserves, difficile d’y trouver de quoi illustrer l’impact du réchauffement climatique sur les peuples autochtones, l’hypermodernité ou les murs de la discorde érigés un peu partout dans le monde.

Dépassé et révolu

L’appellation «Musée d’ethnographie» est elle aussi en train de prendre la poussière. «Ce terme est un héritage colonial. Il date d’une époque où l’on divisait les champs disciplinaires: l’ethnographie était la description des peuples, de leur culture matérielle et de leurs pratiques; l’ethnologie, l’étude comparée de ces peuples étudiés par l’ethnographie; et l’anthropologie, une science plus large qui visait à développer un cadre théorique pour l’interprétation des faits produits par les deux autres disciplines. Tout ça est complètement dépassé et révolu!» s’insurge Boris Wastiau. Il y a fort à parier que le Musée d’ethnographie de Genève pourrait recevoir un jour prochain un nouveau nom de baptême…

«Le terme de «Musée d’ethnographie» est un héritage colonial. Il date d’une époque où l’on divisait les champs disciplinaires»

Et un nouveau cap, dessiné par son capitaine: «Dans nos expositions, il faut réunir des gens qui partagent le même intérêt pour un sujet donné, qu’ils soient scientifiques, intellectuels ou artistes.» Ce grand mouvement de fond permettra d’intensifier les relations avec les communautés sources – ces peuples autochtones à l’origine des objets des collections. Une approche qu’au MEG, on chérit. Le musée est en effet engagé dans un vaste processus de restitution numérique des œuvres aux communautés autochtones, en Australie et en Amazonie notamment.

Renouveler l'offre

Ce n’est pas tout: le MEG doit trouver de nouveaux publics. Boris Wastiau entend renouveler son offre en procédant à des réaménagements, qui toucheraient aussi bien la collection permanente, «les archives de la diversité humaine», que les installations temporaires.

«Et puis nous sommes à Genève! s’enflamme-t-il. Nous devons nous profiler comme un musée qui agite les grandes questions du monde, en lien avec la Genève internationale. Et tant pis si on crie au scandale, tant pis si on me traite d’iconoclaste! Il faut bien un jour ou l’autre ranger ce qui est dépassé dans des tiroirs. Mais qu’on se rassure: je ne jette rien au feu, je ne casse rien à coups de marteau. Je cherche une rupture épistémologique. Je veux casser une dynamique conservatrice car aujourd’hui, on sait quel danger elles font courir au monde, quel péril représentent ce repli vers le passé et cet enfermement dans les traditions.»

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