Les mains d'or des restauratrices

Isabel Garcia Gomez et Lucie Monot doivent restaurer les objets tout en assurant leur lisibilité pour le public.

Adossé aux grandes verrières du nouveau MEG, l’atelier de restauration capte les lux extérieurs par milliers. À l’intérieur, de larges lampadaires complètent cette débauche en prévision des jours de grisaille genevoise. Il s’agit d’y voir clair. C’est ici le laboratoire d’Isabel Garcia Gomez et Lucie Monot.

Les deux conservatrices-restauratrices à plein temps du Musée d’ethnographie n’ont pas le temps de bayer aux corneilles. Au menu de ce début du mois de mars 2018, la préparation du déménagement des collections des Ports Francs au Carré vert, les futurs entrepôts attribués à l’institution sur le site d’Artamis.

Boîtes sur mesure

Un travail de titan qui s’étire sur deux, voire trois ans. Tout doit être soigneusement consolidé, protégé, sécurisé et emballé dans des boîtes conçues sur mesure, afin de ne pas se voir endommagé dans le futur transport.

En parallèle, les deux jeunes femmes - historiennes de l’art et bien sûr formées en restauration de pièces ethnographiques, l’une à Londres, l’autre à Bruxelles - œuvrent à l’exposition «Afrique. Les religions de l’extase», fabriquée par et pour le MEG.

Lucie Monot, restauratrice, au travail sur une figurine malgache.

Perchée sur son tabouret, le buste incliné au-dessus de sa table d’opération, Lucie Monot s’attelle à une tâche digne d’un bénédictin d’Einsiedeln: le «rafistolage» d’une figurine malgache en vannerie que le temps a desséchée par endroits. «Les fibres sont cassées, je lui fais un peu de chirurgie esthétique», sourit la praticienne, armée d’un bistouri.

La restauratrice se sert d’un papier japonais, précieux pour ses longues fibres, sa finesse, sa souplesse et sa solidité, qu’elle a préalablement teint à l’aquarelle dans deux tonalités de beige-brun. «Un matériau magique!» déclare celle qui s’emploie à consolider les aisselles de la «poupée» en tressant le papier comme auparavant l’artisan malgache, la paille. Les fines lanières reconstituées sont ensuite maintenues en place avec de la colle d’amidon.

Lucie Monot s’arrêtera là dans son intervention. Jusqu’où aller? Voilà la grande question pour un restaurateur. Isabel Garcia Gomez: «Concernant une pièce ethnographique, il faut garder la trace de son histoire, tout en assurant sa stabilité, afin qu’elle ne s’abîme pas, et sa lisibilité pour le public.» Les coins endommagés aux pieds de la figurine ne seront ainsi pas réparés.

Tous les matériaux possibles

Seuls les objets appartenant aux collections du MEG passent entre les mains expertes des dames du 1er. «Jamais nous ne toucherions aux pièces que nous empruntons. Il est de la responsabilité de l’institution prêteuse de nous les livrer déjà restaurées.»

Les quelque 300 objets-témoins de l’exposition «Afrique» sont constitués de tous les matériaux possibles, exception faite du plastique, avec une dominante de bois. La peinture, le papier et le textile sont confiés à des experts extérieurs. Dans le cas d’«Afrique», le travail de restauration, stabilisation et nettoyage a débuté voici un an, une fois les premières sélections faites par Boris Wastiau (lire le chapitre 2).

La restauratrice Isabel Garica Gomez explique son travail sur un nkisi, un fétiche à clous du Congo.

Isabel Garcia Gomez s’affaire, elle, au chevet d’un nkisi, un fétiche à clous du Congo datant de la fin du XIXe siècle. «Il est doté de deux charges magiques, l’une dans sa tête, l’autre sur son abdomen», détaille la restauratrice. Le fétiche en était-il équipé lorsqu’il est arrivé en Europe ou a-t-il été «boosté» postérieurement? Radiographie et analyses ont été imposées au nkisi. Peut-être le visiteur de l’exposition aura-t-il la réponse…

La spécialiste prodigue ensuite ses soins à une coiffe en fils de laiton, pliée très longtemps, afin de lui redonner une belle forme ronde, puis s’attaque au dépoussiérage d’une statuette Fang, originaire du Gabon.

Matière huileuse issue d'un rituel

«Le bois suinte une matière huileuse dont le reliquaire a été enduit lors d’un rituel, qui attire et colle la poussière», diagnostique la responsable de l’atelier. «Nous ne voulons pas éliminer cette substance, qui nous renseigne sur l’histoire de l’objet.» Et la restauratrice de saisir sa pince à épiler. Poil après poil, la statuette est débarrassée de son duvet disgracieux.

Un mois et demi avant l’ouverture de l’exposition, Lucie Monot et Isabel Garcia Gomez étaient à pied d’œuvre pour suivre le transport, le soclage des pièces - effectué au sein du MEG, mais par une entreprise extérieure - et l’installation des objets dans les vitrines. «Nous supervisons toute manipulation des pièces», résument les deux conservatrices-restauratrices. Un seul maillon de la chaîne échappe sciemment à leur vigilance: Johnathan Watts, le photographe du MEG qui, en raison de sa longue pratique des pièces ethnographiques et de son doigté, jouit de leur totale confiance.


«Afrique. Les religions de l'extase»
18 mai 2018 - 6 janvier 2019
Musée d'ethnographie de Genève
Catalogue en vente


Impressum
Textes: Pascale Zimmermann
Photos: Georges Cabrera
et Laurent Guiraud
Vidéos: Georges Cabrera
Réalisation Web: Frédéric Julliard
et Paul Ronga





«Afrique. Les religions de l'extase»
18 mai 2018 - 6 janvier 2019
Musée d'ethnographie de Genève
Catalogue en vente


Impressum
Textes: Pascale Zimmermann
Photos: Georges Cabrera
et Laurent Guiraud
Vidéos: Georges Cabrera
Réalisation Web: Frédéric Julliard
et Paul Ronga




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