L'alibi des crédits carbone

Cinquième volet de notre série




Compenser le CO2 de son billet d'avion, est-ce une vraie solution ou juste une façon de se donner bonne conscience?

En quelques clics, l’affaire est dans le sac. Après avoir acheté un billet d’avion, il suffit d’aller sur internet pour compenser les émissions de gaz carbonique produites par ce vol.

Des organismes spécialisés dans la vente de crédits carbone permettent de calculer l’impact climatique de son voyage dans les airs, et de financer en proportion des programmes de réduction des émissions de CO2.

Parfois, ce sont directement les compagnies aériennes qui suggèrent de faire ce geste pour le climat. Mais aux yeux de certains, cela ne suffit pas à se dédouaner de prendre l’avion comme on change de chaussettes.

Onze francs pour Barcelone

En Suisse, Myclimate est la principale ONG active dans la compensation CO2. Pour un vol Genève - Barcelone aller-retour en classe Economy, son calculateur indique 340 kilos de CO2 émis par passager (ce nombre varie en fonction des organismes de compensation, qui ne prennent pas tous en compte les mêmes critères).

Myclimate propose par exemple de les compenser en contribuant, pour la somme de 11 francs, à offrir à des familles kényanes des fours à bois utilisant deux fois moins de combustible. En freinant ainsi la déforestation, on aide à limiter l’effet de serre, puisque les arbres absorbent le gaz carbonique.

Pour 30 fr., on peut, si on préfère, soutenir des projets en Suisse. Ces programmes de compensation sont garantis par des labels indépendants. Les 80% de la somme vont aux projets, le reste assure les frais de fonctionnement de Myclimate.

En première classe, le bilan carbone est évidemment plus lourd, vu que les sièges plus spacieux limitent le nombre de places dans l’avion. Ainsi, pour le même vol Genève - Barcelone, un passager «pèse» 850 kilos de CO2, qu’il peut compenser pour environ 25 francs. Autre exemple: un vol Genève - Bangkok aller-retour en classe Economy représente 3,5 tonnes de CO2, compensables pour une centaine de francs. Myclimate précise que, pour stopper le réchauffement climatique, on ne devrait pas émettre plus de 2 tonnes de CO2 par an et par personne.

Chacun peut opter individuellement pour cette solution, mais certaines entreprises ou administrations – comme l’État de Genève, les HUG, les SIG ou l’Université de Genève – compensent systématiquement les déplacements aériens de leurs collaborateurs.

En Suisse, pour l’instant, on se repose entièrement sur ce volontarisme pour limiter l’impact climatique du trafic aérien. Le principe d’une taxe sur les billets d’avion a en effet été rejeté au début de décembre par le Conseil national, dans le cadre de la révision de la loi sur le CO2.

Pourtant, des sondages montrent que 70% de la population y seraient favorables. Plusieurs pays européens, dont les quatre voisins directs de la Suisse, prélèvent déjà une telle taxe.

Très peu de volontaires

Mais en pratique, c’est une autre histoire. Malgré une tendance à la hausse, le nombre de passagers qui choisissent de compenser le CO2 de leur vol reste très marginal. «Chez Myclimate, nous compensons 1% de tous les vols au départ de la Suisse, confie Kai Landwehr, porte-parole de l’ONG. Au total, on estime que 2% des vols sont concernés.»

Pour Florian Brunner, responsable des questions climatiques à la Fondation suisse de l’énergie, c’est très classique: «Les gens voient le problème, mais très peu agissent. C’est pourquoi il faut une mesure plus contraignante, comme une taxe.»

Il est intéressant de noter que ce sont surtout les vols long-courriers qui sont compensés, alors que proportionnellement, ce sont les courts trajets qui ont le plus mauvais bilan carbone, vu qu’un avion consomme beaucoup de carburant au décollage.

Le problème, avec ce système de compensation, c’est que cela n’annule pas les émissions de gaz carbonique. «Il y a en moyenne un décalage de vingt ans entre le moment de l’impact climatique et celui où sa compensation deviendra efficiente, souligne la climatologue Valentine Python. Par exemple, si on compense le CO2 par des programmes de reforestation, il faut savoir qu’un arbre ne commencera vraiment à absorber le gaz carbonique qu’au bout d’un siècle. Or, nous faisons face à une urgence climatique.»

Pour sa part, la climatologue restreint ses déplacements en avion à un vol long-courrier tous les cinq ans.

«Évidemment, il vaut mieux prendre l’avion le moins souvent possible, admet Kai Landwehr. Mais si vous n’avez pas d’alternative, la moindre des choses, c’est d’assumer vos responsabilités en compensant vos émissions de CO2. L’inconvénient de la taxe sur les billets d’avion, c’est que l’argent irait grossir le budget de la Confédération, mais, contrairement aux programmes que nous soutenons, il ne serait pas forcément affecté à des mesures de réduction des émissions de gaz carbonique. C’est en tout cas ce qui se passe dans les pays européens qui ont adopté une telle taxe.»

© Tamedia