Il n’y a pas qu’à Genève que coule du sang grenat. Une fois que vous franchissez la Versoix, l’amour pour Servette déborde sur La Côte jusque derrière la Sarine. «Ici c’est Servette, Servette c’est partout!» Le club de la Praille compte depuis des lustres des fans assidus dans toute la Suisse. Pour certains, c’est la couleur; pour d’autres, un joueur du coin ou le beau jeu. «Ceux qui sont nés dans les années 70 ou 80 ne pouvaient pas être insensibles au SFC, explique le journaliste alémanique Silvan Kämpfen. À cette époque, il y avait non seulement des beaux duels avec Grasshopper ou Zurich, mais aussi de grands joueurs et ces maillots grenat tellement uniques…» C’est ce qui a motivé Mämä Sykora, le rédacteur en chef de «Zwölf», à sortir, en avril, un numéro spécial sur la fascination qu’exerce Servette. «Notre magazine, qui sort depuis 2007 tous les deux mois, aime les belles histoires, raconte Silvan. Et le SFC, qui est très aimé de ce côté du pays, en a une très belle.» Très nostalgiques, les lecteurs se sont arraché ce «collector», qui s’est vendu à près de 11 000 exemplaires. «Si le FC Sion peut se vanter de posséder des fans dans tout le pays, ce sont tous des Valaisans, ce qui n’est pas le cas des Genevois, renchérit-il. Servette a toujours été un club qui a suscité énormément d’émotions. Les gens sont tous heureux qu’il revienne en Super League!» Toï, toï, toï!

Son fils, Lucien, a été contaminé

C’est le cas de John Appenzeller, à Zurich, qui se réjouit de revoir ces passionnés au Letzigrund, à un jet de pierre de son domicile. Directeur de Transpack, ce fou de foot de 49 ans est abonné au Servette FC depuis 1986. Son tatouage sur l’épaule prouve son amour pour ce club: il a le grenat dans la peau. «J’aime aussi Aston Villa, en Angleterre. J’ai toujours été attiré par cette couleur.» Son fils, qui a aujourd’hui 7 ans, aurait pu s’appeler José, comme Sinval, ou Vincent, en hommage à Rüfli, mais finalement la maman a «cédé» pour Lucien, Favre étant également une de ses idoles, avec Pierre Pleimelding, de l’époque. «Mon garçon, qui joue à Wettswil, adore désormais l’entraîneur de Dortmund et… Servette, bien sûr!» Les chiens ne font pas des chats et vice versa.

Ce fan pas comme les autres, qui possède une septantaine de maillots dans son appartement, dont les reliques de Vitkieviez, Favre, Sauthier et Chagas, fait partie du fan-club Deutschweiz 86 après avoir aussi été membre du fan-club Uri. «Or, depuis que nous avons eu des problèmes avec un de mes cars, un jour, avec des Sédunois sur une aire d’autoroute, je préfère me déplacer seul avec ma voiture.» Et il suit les rencontres dans la tribune principale, où il a son siège réservé, avec le même voisin qu’aux Charmilles.

Il avait dormi aux Charmilles

D’autres ont rejoint, en 2002, les Maroons, à l’image de Thomas Baumgartner, supporter des Servettiens depuis 1977. «J’ignore si c’est la couleur du maillot, les cheveux blonds de Joko Pfister, la barbe de Martin Chivers ou les cheveux frisés de Franz Peterhans, mais lorsque mes camarades d’école m’ont demandé de choisir un club entre Young Boys, Grasshopper, Bâle et Servette, je n’ai pas hésité.» À bientôt 54 ans, cet amoureux du beau jeu ne regrette pas ce choix du cœur. Avec ses footballeurs genevois, cet ancien contrôleur CFF (qui travaille désormais au bureau) a beaucoup voyagé, profitant de la Coupe d’Europe, de Valence à Prague, en passant par Saragosse, Erevan, Graz et Wroncki, pour découvrir des contrées où il ne serait jamais allé sans son équipe fétiche.
Dans son bureau, il y a, dans un cadre, bien en évidence, la une de la «Tribune de Genève» du 3 juin 1999, qui rappelle le titre inoubliable de la Pontaise. Mais aussi tous ses abonnements depuis 1989, le tricot Admiral porté par Barberis ainsi que des albums de photos avec tous les joueurs qu’il a croisés en trente ans. Et que de belles amitiés partagées avec certains comme Rainer Hasler ou Tibert Pont. «Avant, quand j’étais jeune, je restais même toute la nuit à Genève, poursuit «Baumel». Avec ma compagne, Évelyne, et des potes, on allait boire une bière en ville et ensuite on dormait dans la tribune principale des Charmilles. C’était drôle, le matin on croisait les joueurs qui venaient s’entraîner et nous, on reprenait le train.» Et ce fidèle, qui a vu 25 matches à la Praille cette saison, de nous confier qu’un jour, un fan de Grasshopper avait demandé la main d’une supportrice de Servette, avant le match, dans un wagon entre Zurich et Genève! Elle avait dit oui, forcément. «Ja, ich liebe Servette!»

Bienvenue dans son musée

Des anecdotes sur Servette, Daniel Raichmuth en connaît lui aussi une ribambelle. Lui, c’est la «bible» du club genevois en Suisse alémanique. À Ibach, ce Schwytzois de 49 ans possède un véritable «musée». Impressionnant. «Chez moi, il y a en effet tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur ce club», sourit celui qui a même récupéré un siège des Charmilles lors de l’adieu à ce stade mythique, le 9 décembre 2002. Un résultat, un joueur en évidence, un marqueur, un programme de match: ce collectionneur garde tout dans des classeurs. Créateur du site Super Servette, il a également des tasses, des stylos, des parapluies, des écharpes et des fanions, mais surtout des maillots de chaque année depuis 1978. Ce n’est pas simplement une garde-robe. «Là, c’est le No 9 que Piet Hamberg portait à Nancy lors du match de Coupe d’Europe. Il l’avait échangé avec Rubio. Je l’ai acheté à un Français plus de 1000 francs sur eBay.» La marque Admiral de cette époque est très recherchée. «C’est comme ce No 15, Didi Andrey l’avait sur ses épaules lors de la finale de Coupe de Suisse en 1978 contre Grasshopper, raconte «Tschumi». Après le match, il l’avait échangé avec le Zurichois Bigi Meier. Ce dernier l’a alors donné à un gamin de mon village. Quand je l’ai vu, mon sang n’a fait qu’un tour. Il me le fallait. J’ai alors négocié avec sa maman. Une paire de chaussures de foot a fait son bonheur et le tour était joué!»

«Ali Baba», qui a écrit un livre avec un des membres du blog Les enfants du Servette, a également dans sa caverne le tricot jaune du gardien Karl Engel, un autre enfant d’Ibach «Il était à l’école avec mon frère. C’est à cause de lui que tout a commencé…» Depuis, ce responsable qualité chez Victorinox n’a manqué pratiquement aucune partie du SFC, même si Genève, ce n’est pas la porte à côté. Il sera là, forcément, ce dimanche, pour cet épilogue face à Kriens et la remise du trophée. «Je vais pouvoir imprimer en PDF l’article de la «Tribune de Genève» et l’ajouter à tous les autres de la saison pour en faire un livre», se marre ce fou des Grenat, prêt à offrir tout son trésor au club le jour où les dirigeants auront un vrai projet de musée. «J’attends juste que Servette se stabilise en Super League et qu’on évite les mêmes erreurs du passé des anciens dirigeants…» En attendant, il savoure l’instant présent, même s’il ne se réjouit qu’à moitié de cette promotion. «Si pour le sport et les joueurs, c’est génial de jouer à l’échelon supérieur, je vais regretter cette Challenge League, lâche Daniel Raichmuth. Car avec des stades plus grands et plus sécurisés, dans le secteur visiteurs, ce sera plus compliqué pour aller chercher une bière et une saucisse!» Il n’est pas le seul à raisonner ainsi, mais comme les autres, il va vite reprendre goût à l’élite et, qui sait, revivre un titre. Comme il y a vingt ans. Comme avant.

Christian Maillard