Alain Geiger incarne la métamorphose de Servette (Eric Lafargue)

Alain Geiger incarne la métamorphose de Servette (Eric Lafargue)

Les secrets de la méthode Geiger

Le Valaisan a apporté son expérience et un projet taillé sur mesure pour Servette. Il lève le voile sur sa méthode, qui a fait le bonheur du club.

Arrivé au Servette FC en mai 2018, Alain Geiger mettait en jeu son crédit d’entraîneur. Après presque dix ans loin de Suisse, en Afrique du Nord essentiellement, il représentait un choix audacieux pour les dirigeants grenat. Il portait l’étiquette d’un homme taciturne, un taiseux, un entraîneur «ancienne école», de 58 ans aujourd’hui, et il devait paradoxalement porter le renouveau servettien. Il a levé tous les doutes, assez rapidement en fait, pour incarner la métamorphose de Servette.

Alain Geiger a immédiatement affirmé qu’il avait changé: cela s’est aussitôt vérifié. Moins dans la réserve, davantage dans l’échange, il ne s’est pas présenté à Genève les mains dans les poches. Ce retour en Suisse, dans ce Servette FC qu’il connaît très bien (il y a joué six saisons), était minutieusement préparé.

Dans l’année qui a précédé son retour aux affaires, le Valaisan imaginait déjà un projet. Dans les mois avant son intronisation officielle à la tête du Servette FC, il le taille sur mesure pour les Grenat. Il a tout écrit, dans un dossier Power Point. Il l’utilise pour convaincre Didier Fischer, le président, du sérieux et de la pertinence de ses intentions, puisque c’est lui qui propose ses services à un club qui cherchait un successeur à Meho Kodro. Il présentera ce Power Point aux joueurs, dans le détail, pour fédérer le groupe autour d’un projet de jeu et de vie ensemble.
C’est de tout cela qu’il a accepté de parler, maintenant que le succès de sa méthode est officiel. Il évoque aussi l’avenir. Geiger le ténébreux n’est plus, comme promis.

Alain Geiger, quand avez-vous caressé l’idée de devenir l’entraîneur du Servette FC?

J’avais du temps libre et j’ai souvent suivi Servette. Je me souviens d’un match à la Praille, en avril 2018, j’étais dans une loge avec Fernand Luisier (ex-joueurs de Sion). Je notais beaucoup de choses: le manque de joueurs dans les seize mètres, l’absence d’attaquants. J’observais et je me posais des questions.

Est-ce là que vous avez développé votre projet sur mesure pour Servette?

Oui, je me suis mis au travail. J’ai tout couché dans un Power Point: le profil des joueurs qui devaient composer le contingent, le style de jeu qui devait être celui de Servette, la nécessité de jouer avec deux attaquants en Challenge League, mais aussi des règles de vie que je voulais pour le groupe.

Tout cela a donc convaincu les dirigeants d’abord et les joueurs ensuite, c’est bien ça?

C’est ça. J’ai dû me battre pour convaincre la direction, je n’étais pas le seul en lice. Mais cela s’est bien passé. Ensuite, les dirigeants ont eu la bonne idée de faire un audit interne, pour voir ce qui n’avait pas bien fonctionné la saison passée. Il y avait au printemps 2018 un peu de déprime, des clans aussi dans le groupe. Cela a permis de faire table rase, avec le départ de certains joueurs. Il fallait du sang neuf. J’ai pu insister pour avoir les profils de joueurs que je voulais, des attaquants notamment, d’autres aussi pour équilibrer le groupe. Je ne peux que remercier les dirigeants de m’avoir écouté. Cela a permis l’arrivée des Schalk, Kone, Follonier, Routis, Maccoppi, Rouiller, Cognat, Séverin, Kiassumbua ou encore Duah.

Et cela a aussi permis le jeu de possession percutant qui a été le style de Servette cette saison, non?

Oui. Il m’est apparu clairement qu’en Challenge League spécialement, il est possible de prendre des risques, de créer. La volonté d’aller vers l’avant s’est logiquement conjuguée avec celle de faire si possible un pressing. Pour récupérer la balle haut dans le terrain et rapidement se projeter vers le but adverse.

Quand et comment avez-vous trouvé l’adhésion des joueurs autour de votre projet de jeu?

Je les ai impliqués dès le début. En leur présentant dans le détail ce que j’imaginais pour cette saison. Il était important que tous sachent précisément ce qui allait être ensuite travaillé. Pour que chacun soit conscient de son rôle, collectif et individuel. Ce n’est pas toujours simple, pour un joueur comme Chagas par exemple, d’être remplaçant. Mais il fallait être clair. Je n’ai jamais joué à cache-cache avec mes joueurs. J’ai toujours été dans l’échange, pour tout leur expliquer, mon rôle comme le leur.

Y a-t-il eu un déclic à un moment donné?

Peut-être quand nous avons mieux défini le positionnement de Sébastien Wüthrich. Il aime évoluer en neuf et demi, je trouvais intéressant de le placer derrière deux attaquants. Le 4-1-3-2 était là. Avec en plus un Stevanovic sur la droite et Cognat à gauche, le système est très offensif, il nous a conféré notre dynamique.

Vous êtes donc un entraîneur très offensif?

J’ai déjà vécu en étant un entraîneur défensif. Cela ne rapporte rien, en tout cas moins que quand on ose, quand on veut la possession du ballon pour dicter le jeu. On peut toujours perdre, mais on a au moins essayé quelque chose. C’est toujours mieux que de perdre sans avoir tout tenté.

Et maintenant: un nouveau projet de jeu adapté à la Super League?

Je prépare quelque chose, bien sûr. De nouveaux équilibres défensifs et offensifs. La base est là, il faut des renforts, un par ligne pour commencer, afin de renforcer la colonne vertébrale. D’autres aussi. Des gabarits solides en rapport avec ce qui nous attend dans l’élite. Mais nous ne renierons pas nos idées. Il faudra continuer à oser, à jouer. Parce que c’est le jeu de Servette.

Propos recueillis par Daniel Visentini

Tout était écrit dans le téléphone d'Alain Geiger
Dans la loge du Stade de Genève où il nous reçoit, Alain Geiger tient sa promesse: il empoigne son téléphone et fait défiler les pages de son PowerPoint, qui dessine les contours de ce qu’il voulait mettre en place. Et il détaille. Plongée dans ces détails qui n’en sont pas.
Profil des joueurs: «Je voulais certains profils et pas d’autres, explique-t-il. J’ai pu travailler en bonne intelligence avec Gérard Bonneau, le chef du recrutement, qui a lui aussi une solide expérience.» Les critères défilent:
- des joueurs au taux d’écoute important;
- des joueurs d’équipe concernés par un projet de club;
- des joueurs qui acceptent de se remettre en question pour progresser;
- des joueurs physiquement forts.
Le contrat social: un groupe qui vit bien est un groupe qui joue bien. «Les joueurs sont encadrés, ils savent alors où ils se situent. Tout cela n’était pas négociable», précise Geiger. Le contrat social:
- la discipline est une preuve d’intelligence;
- respect des horaires: rendez-vous, entretiens, entraînements, matches, il faut être à l’heure. C’est le b.a.-ba, mais c’est essentiel;
- écoute: chacun doit être à l’écoute de l’autre, cela vaut aussi pour les relations staff technique-joueurs;
- comportement: exemplarité sur le terrain et en dehors.
Les systèmes tactiques: Geiger a aussi pris du temps, avec des exemples prestigieux (Ligue des champions), pour expliquer images arrêtées à l’appui, ce qu’il voulait. Ce travail en amont a contribué au succès grenat. D.V.

Didier Fischer, un président qui rassure

Le succès de ce retour en Super League est aussi le sien. Didier Fischer n’est sans doute pas un joueur incontournable du Servette FC, à la manière de «Micha» Stevanovic, mais le président du club a su mettre en place les conditions propices à cet aboutissement.


Didier Fischer: «Je constate que cette promotion apporte du bonheur aux gens.» (Laurent Guiraud)

Tout a commencé en 2015. Touche à tout, présent dans plusieurs conseils d’administration, il est réputé pour son travail sérieux et efficace, notamment à la tête de Cenovis, des distilleries Morand ou de la Cave de Genève. C’est ce crédit qui a poussé les sauveurs du club (la Fondation Hans-Wilsdorf, donc Rolex), après le fiasco Quennec, à le porter à la tête de la Fondation 1890, créée pour l’occasion. Cette dernière sauve donc Servette d’une nouvelle faillite en 2015, elle sauvera aussi le Genève-Servette HC de la banqueroute en 2018. Didier Fischer en est le président, ainsi que du Servette FC.

Aujourd’hui, il goûte au bonheur de la promotion. «C’est magique, sourit-il. Je ne m’en doutais pas, mais je constate que cette promotion apporte du bonheur aux gens. Ils m’arrêtent parfois dans la rue pour me dire merci. C’est merveilleux et c’est aussi une responsabilité d’avoir réveillé cette fierté d’être Grenat. Mais je dois aussi dire merci. Pas seulement aux joueurs, au staff technique ou à Alain Geiger, mais également à tous ceux qui travaillent dans les bureaux, le secteur administratif, le marketing, toutes ces personnes sans qui cela n’aurait pas été possible. Ce sont eux qui bossent le plus, au final. Moi, je ne suis que celui que l’on pousse un peu pour répondre aux questions.»

La réalité de la promotion, c’est aussi ce qu’elle implique: une sérieuse augmentation du budget. La première équipe du Servette avait un budget de 6 millions cette saison. Il sera doublé au minimum pour atteindre les 12 millions, une somme garantie déjà pour trois ans, si les Grenat restent en Super League bien sûr. Il pourrait même atteindre les 15 millions la prochaine saison déjà, en fonction des contacts en cours qui pourraient se finaliser bientôt.

C’est la Fondation 1890 (composée de mécènes et partenaires) qui injecte les fonds. Qui garantit le budget pour l’obtention de la licence en première instance. Qui bouche les trous.

«Il y a toujours un déficit structurel, explique le président. Cette saison il est de 2,2 millions. Viser l’équilibre est quasi impossible sans compétitions européennes. Mais nous fédérons de nouveaux mécènes et partenaires. Je ne suis pas inquiet pour l’avenir, nous avons de solides garanties.»
Servette a regagné le crédit qu’il avait perdu. Il est assis sur des bases saines, prêt à grandir encore. «Mais par n’importe comment, assure Fischer. C’est en atteignant des objectifs sportifs que nous pourrons aller encore plus loin. Grandir, c’est une conséquence du succès.»
D.V.

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