La villa individuelle,
un rêve en voie de disparition

L’habitat groupé et la maison contiguë sont devenus la norme. Ils modifient la zone villas, au grand dam de ses habitants. Les communes tentent de reprendre la main.


La villa familiale, entourée de sa pelouse, avec sa piscine et sa haie en bordure de propriété. Ce fut le rêve de plusieurs générations, l’aboutissement d’une certaine ascension sociale. Aujourd’hui, elle est en voie de disparition. La maison individuelle est remplacée par la villa contiguë et, surtout, par l’habitat groupé.
Au grand dam de ses anciens habitants. «On assiste au bétonnage non organisé de la zone villas, déplore Christina Meissner, députée et membre de Pic-Vert, l’association des propriétaires. Sa substance est en train de fiche le camp. C’est un désastre.»

Les chiffres sont éloquents. En quatre ans, la maison individuelle a fondu dans les demandes d’autorisation. En 2014, elle représentait encore 27% des dossiers, mais plus que 13% en 2017 (voir ci-dessous).

Elle subit depuis une vingtaine d’années la concurrence de la villa jumelle. Mais c’est l’habitat groupé qui a désormais la cote. On entend par là un petit immeuble de trois niveaux ou ces ensembles d’appartements encastrés les uns dans les autres. Les dossiers ont triplé pour ce type d’habitat. Il produit désormais vingt fois plus de logements que les villas.



«On assiste au bétonnage non organisé de la zone villas. C’est un désastre.»

Caractère modifié

Cette évolution modifie en profondeur le caractère de la zone villas. Les bâtiments dressent désormais leurs murs massifs, devant lesquels s’étalent places de parc et couverts à voitures. Les espaces verts sont rapetissés et domestiqués, les arbustes remplacent les arbres. Davantage de logements signifie plus de voitures et plus de trafic sur des rues inadaptées, parfois sans trottoir. Les sols s’imperméabilisent, ce qui augmente les risques en cas de fortes pluies. Les grandes parcelles sont fractionnées, le paysage fragmenté.

Un élément a accéléré cette transformation. Il intervient en 2012. À l’époque, la zone villas est menacée par plusieurs déclassements en vue de l’urbaniser. On lui reproche de représenter la moitié de la zone à bâtir pour n’y loger que 15% des habitants.

Le Parti libéral-radical propose alors de modifier l’article 59 de la loi sur les constructions pour y doubler la densité autorisée, en vue d’une «densification raisonnable». Ainsi, la zone villas aura fait sa part dans l’effort collectif, tout en sauvant sa peau. Le projet reçoit un accueil largement favorable, y compris des associations de petits propriétaires.

Les effets ne se font pas attendre. «Quand on augmente les droits à bâtir, tout peut aller très vite, constate Marie-Sophie Aubert, chargée de projet au Département du territoire. D’autant plus que nous sommes ici dans une filière de production courte, car sans planification.» Pas besoin en effet d’élaborer ici des plans de quartier soumis à une longue procédure démocratique.

L'arrivée des promoteurs

Pourquoi se contenter d’une seule maison quand on peut en construire trois, voire plus en fractionnant les parcelles? À ce jeu-là, les promoteurs sont rois. Détrônant les particuliers, ils deviennent les acteurs principaux, contribuant à banaliser la production, dont l’architecture «résolument contemporaine» est vendue sur papier glacé.
«Nous avons fait une erreur en acceptant de modifier l’article 59», regrette aujourd’hui Christina Meissner. «Cette modification n’a pas été suffisamment étudiée», ajoute l’architecte cantonal Francesco della Casa.


Exemple d'habitat groupé à Lancy

Affolées par l’ampleur du phénomène, les communes ont vite tiré la sonnette d’alarme auprès de l’État. Il en est sorti en 2017 un guide des bonnes pratiques intitulé «Les nouveaux jardins-quartiers du XXIe siècle». L’instrument instaure des règles du jeu sur lesquelles communes et État s’entendent et qui offre un guide aux promoteurs.
La démarche n’a longtemps guère été suivie d’effets. Les communes se plaignent que leurs préavis ne soient pas assez entendus face à la puissante Commission d’architecture. Mais les choses sont en train de changer.

«Pourquoi se contenter d’une seule maison quand on peut en construire trois, voire plus en fractionnant les parcelles? À ce jeu-là, les promoteurs sont rois.»

Plus de poids pour négocier

Un nouvel outil va aussi donner plus de poids aux communes: leur nouveau plan directeur communal qui intègre cette approche qualitative de la zone villas et décrit la stratégie à adopter.

Vandœuvres a déjà élaboré le sien. La Commune souhaite préserver ses haies bocagères, ses paysages ouverts et ses grands domaines non bâtis. Ces objectifs doivent lui permettre de mieux négocier avec les propriétaires. Négocier, en effet, car au-delà d’une certaine densité, il faut l’accord de la Commune. Elle pourra ainsi réclamer des contreparties aux promoteurs. Par exemple: des servitudes de passage, la cession de petits espaces collectifs ou la mutualisation des parkings.

Il ne s’agit pas seulement de préserver l’ambiance et le caractère de la zone villas, mais aussi d’assurer son bon fonctionnement. En créant des trottoirs ou des espaces publics, en traçant des cheminements pour traverser les quartiers ou encore en dégageant de l’espace pour des équipements. Bref, un besoin de planification se fait sentir, qui devra se déployer en finesse pour ne pas heurter les droits des propriétaires.

Genève devait être «un parc de villas»

Genève a connu une dizaine de plans directeurs en un siècle. À chaque fois, la zone villas y a tenu les seconds rôles car, pour les urbanistes, la gestion de la ville a toujours été au cœur de leurs préoccupations. Mais comme celle-ci est jugée peu salubre, l’installation à la campagne y est d’abord bien vue.

Dans les années 30, on favorise son essor. «Tout le canton, grâce aux moyens de transport qui le sillonnent, est destiné à devenir un parc de villas», écrit le plan de l’époque. Entre 1930 et 1940, elles constituent 65% des nouvelles constructions.

Certains urbanistes rêvent de «colonies d’habitations», en référence aux cités-jardins ouvrières, mais le modèle dominant reste la maison au milieu de sa parcelle. Sa planification est rudimentaire.

Les Trente Glorieuses voient la population exploser. On condense alors les zones villas et, en 1963, on pense urbaniser celles de la Rive gauche dans l’idée d’une Genève à 800 000 habitants. Mais étant donné la difficulté à la densifier, on érige les cités satellites sur la zone agricole. Depuis une vingtaine d’années, celle-ci se faisant presque inviolable, on convoite à nouveau la zone villas.

Le plan directeur actuel veut en urbaniser 11% d’ici à 2030. En densifiant le reste de manière modérée, comme on le fait aujourd’hui, on rend plus difficile un grignotage ultérieur.

© Tamedia